C’est un crime d’Etat. Un de plus à mettre sur le compte du régime de Bachar Al-Assad. Un crime perpétré depuis plus de cinq ans dans le plus grand silence. Et pour cause, reposant sur un puissant tabou au sein d’une société « où le corps de la femme est sacré », le viol est devenu en Syrie une véritable arme de guerre. Une arme de destruction massive et de contrôle de toute une population, comme le révèle le documentaire choc de Manon Loizeau, coécrit avec Annick Cojean, grand reporter au Monde avec l’aide de la chercheuse libyenne Souad Wheidi. Publié dans la rubrique télévision du Monde
Un documentaire où pour la première fois des femmes syriennes, désormais en exil, témoignent de ce qu’elles ont eu à subir du régime. Qu’elles le fassent comme Mariam ou Fouzia à visage découvert, en donnant les lieux et les noms de leurs bourreaux, ou sous couvert d’anonymat, par leur voix, souvent voilée de larmes, ou rompue par les sanglots. On mesure l’immense courage qu’il leur a fallu déployer pour extraire du silence, de la honte et la peur, les mots capables de raconter l’enfer des violences physiques, des viols à répétition, des tournantes, mais aussi la dépossession du corps, l’effondrement de l’âme, d’existences à jamais brisées. « Ce que j’ai perdu, il m’est impossible de le récupérer, dit l’une d’elle, mon image telle que je la percevais du moins, est souillée. Nous n’avons tué personne. Ce qu’ils nous ont fait subir est pire que la mort… »
Murs fissurés ou criblés de balles, barbelés griffant le paysage, terre desséchée… Au fil de ces récits parfois insoutenables, dont la mise en images poétique souligne le poids de la perte et des blessures, se révèle le caractère planifié de ces exactions. Circonscrits aux femmes détenues dans les prisons au début de la révolution syrienne en 2011, peu à peu les viols commis par les soldats et les milices du régime vont se répandre sur les check points, dans la rue et jusque dans l’intimité des maisons, sous le regard des maris et des enfants. « Tout citoyen libre, tout citoyen engagé dans la révolution a eu une des femmes de sa famille envoyées en détention, raconte une ex-lieutenante de l’arméesyrienne qui a déserté après huit ans de service. Le message étant “soit tu te rends, soit on garde ta femme, ta fille chez nous”. Le viol, le régime l’a utilisé pour briser l’homme syrien. »
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Et des femmes en nombre, aujourd’hui encore, qui lorsqu’elles ne suicident pas, doivent subir une double peine : l’opprobre de la société et le reniement de leur famille. « L’injustice pour la femme, c’est d’être punie par la société et le régime (…). On est prises entre les coutumes, les traditions d’un côté, le régime de l’autre. Et on meurt coincées entre les deux », dit Nour, qui ajoute avec force : « Nous ne sommes pas une honte, nous sommes un honneur. »