Les deux organisations ont décidé de coopérer afin d’aider concrètement les personnes victimes du « racisme antimusulman ». Cette initiative devrait aussi déboucher sur des actions pédagogiques et de formation conjointes sur le terrain et sur une production commune d’analyses.
article par Cécile Chambraud publié sur le site lemonde.fr, le 20 05 2021
La Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) et la Grande Mosquée de Paris (GMP) ont conclu, mercredi 19 mai, une convention de partenariat destinée à « mieux lutter contre le racisme antimusulman » et « accompagner et soutenir les citoyens qui en sont victimes ».
La coopération entre ces deux organisations presque centenaires vise à épauler concrètement les personnes victimes – saisie par des fidèles, la GMP pourra par exemple les aiguiller vers la Licra, qui bénéficie du concours bénévole d’une centaine d’avocats. Elle devrait aussi déboucher sur des actions pédagogiques et de formation conjointes sur le terrain et sur une production commune d’analyses, « s’agissant par exemple du racisme antimusulman, de la laïcité, de l’universalisme et des valeurs républicaines ».
Cette initiative n’est pas anodine, dans l’atmosphère très tendue qui enveloppe le débat public sur ces questions, sans oublier la montée de l’antisémitisme, les identités ou encore l’islamisme. « Entre nous, il n’y a pas de murs, il n’y a que des intérêts convergents », a assuré Chems-Eddine Hafiz, le recteur de la Grande Mosquée de Paris, lors d’une conférence de presse commune, dans la capitale. « Nous voulons impliquer nos relais locaux pour expliquer, former, afin, qu’à notre échelle, d’essayer de faire baisser le niveau de tension souvent insupportable qui existe chez nos concitoyens, souvent relayé par des médias irresponsables », a affirmé Mario Stasi, le président de la Licra.
Dans ce contexte, la Licra et la GMP ont posé des jalons quant à leur positionnement commun sur certaines des controverses qui structurent les débats. Dans leur communiqué, et conformément à la position constante de la Licra, les deux organisations écartent le terme disputé d’« islamophobie », préférant parler d’actes ou de racisme antimusulmans. « C’est un dévoiement du combat », affirme Mario Stasi à propos du terme « islamophobie ». « On doit être intraitable contre le racisme antimusulman mais on peut critiquer le dogme. L’islamophobie a été créée et est utilisée pour provoquer une confusion entre les deux. »
« Observatoire des droits »
Chems-Eddine Hafiz veut profiter du savoir-faire de la Licra pour ne pas laisser le terrain de la défense du droit des musulmans à des associations comme l’ex-Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), dissout par le gouvernement en décembre 2020. Début mai, il a annoncé la création à la GMP d’un « observatoire des droits » des musulmans, promettant pour cette année « un vaste programme sur la lutte contre les discriminations dont sont victimes les musulmans dans leurs droits sociaux ».
Pour la Licra, ce partenariat peut contribuer à rééquilibrer une notoriété souvent identifiée au combat contre l’antisémitisme. Dans les signalements faits auprès d’elle, les actes « antimaghrébins/antimusulmans » sont en augmentation constante ces dernières années, indique l’association. De novembre 2019 à novembre 2020, ils ont représenté près de 30 % des signalements, au premier rang des faits de racisme. Les actes antisémites, eux, représentent un quart des signalements – une proportion notoirement démesurée pour une population potentiellement concernée estimée à 500 000 personnes. En ligne, la haine antisémite est encore plus présente puisqu’elle représente la moitié des signalements (241 sur 492), loin devant le racisme anti-noir (122) et le racisme antimaghrébin/antimusulmans (114).
Chems-Eddine Hafiz continue de structurer le pôle des fédérations musulmanes qui l’ont suivi dans la crise qui a fracturé le Conseil français du culte musulman (CFCM) en janvier, à l’occasion de la signature de la Charte pour un islam de France. Il a assuré mercredi que le Rassemblement des musulmans de France et la Fédération française des associations islamiques d’Afrique, des Comores et des Antilles (FFAIACA) étaient partantes elles aussi pour coopérer avec la Licra – on notera toutefois qu’il n’a pas cité Musulmans de France, l’ex-Union des organisations islamiques de France (UOIF).
Le recteur de la GMP essaie aussi d’occuper des terrains jusque-là laissés en déshérence par les instances de l’islam officiel. « La GMP est un acteur pas seulement religieux, mais aussi culturel et social », a-t-il affirmé à l’appui de l’accord avec la Licra, en soulignant que l’on avait sans doute laissé trop de latitude aux « islamistes qui se sont accaparés tout le terrain ». Sur le plan religieux, il a indiqué avoir réuni une commission à qui il a fixé l’objectif « d’adapter le discours religieux à la laïcité, à la société française, aux principes de la République » pour nourrir les prêches des imams officiant dans le réseau de mosquées de la GMP.