Aux portes de l’Europe, le cauchemar sans fin des réfugiés syriens

La situation est explosive à la frontière de l’Europe, notamment en Grèce, où des milliers de réfugiés syriens se pressent après l’ouverture par la Turquie de ses frontières. L’UE semble impuissante.

article par Henri Vernet publié sur le site leparisien.fr, le 02 03 2020

Il aura fallu que l’Europe se retrouve à nouveau, soudain, sous la pression d’un débarquement de centaines de milliers de migrants pour que l’on s’intéresse à la situation en Syrie. Le désastre humanitaire dans la région d’Idlib, à la frontière turco-syrienne, dure pourtant depuis des mois. Dans l’indifférence générale des politiques et de l’opinion publique.

Le drame d’Idlib
Près d’un million de civils, parmi lesquels de très nombreux enfants, ont abandonné leurs villes et villages. Ils survivent sous des tentes ou des abris précaires, dans le froid hivernal, sans nourriture ou presque, exposés aux maladies, privés de l’aide de la plupart des ONG dispersées par les combats. Des images insupportables d’êtres humains abandonnés à leur sort et jetés sur les routes sous les bombes.

Ils fuient la guerre, pris en étau entre, d’un côté, les derniers rebelles anti-Assad — notamment djihadistes parmi lesquels des Français — soutenus par l’armée turque, et, de l’autre côté, les troupes du sanguinaire président syrien, appuyé par son parrain russe Poutine (la Russie a des intérêts stratégiques en Syrie) dont l’aviation bombarde combattants comme civils.

Rejoints chaque jour par de nouveaux fuyards (la région d’Idlib compte au total 2,5 millions d’habitants), ces réfugiés  sont cantonnés dans une poche à la frontière turque défendue par un mur infranchissable. Mais ils espèrent pénétrer en Turquie, où se trouvent déjà quelque 3,5 millions de réfugiés syriens.

Le face-à-face Assad-Erdogan
Au bout de 9 ans de guerre civile ayant fait près de 400 000 victimes, et une fois Daech liquidé (grâce aux Kurdes et à la coalition internationale), Bachar al-Assad veut reprendre l’intégralité du territoire syrien. Et s’assurer notamment du contrôle de l’axe Est-Ouest, la zone entourant l’autoroute M4 Alep-Lattaquié.

VIDÉO. Erdogan menace l’Europe de laisser passer des « millions » de migrants

En face, le président turc Erdogan, outre son soutien à des rebelles islamistes avec lesquels il entretient des liens depuis toujours, tient à garder une bande frontalière à sa main. Histoire d’en faire une zone tampon repoussant plus loin les Kurdes syriens, ennemis jurés d’Ankara, qui redoute une « contagion » de la revendication autonomiste parmi les Kurdes de Turquie.

Bref, après le retrait des troupes américaines au sol à l’automne dernier, Poutine et Assad veulent pousser au maximum leur avantage militaire avant de s’asseoir, éventuellement, à une table de négociations.

Pourquoi cette impuissance européenne ?
« Le président est très choqué par ce qui se passe en Syrie », nous confiait dernièrement un collaborateur d’Emmanuel Macron. Choqué mais… impuissant ou presque. Avec Angela Merkel, il a appelé à la tenue d’un sommet à quatre, avec Poutine et Erdogan. Le maître du Kremlin, qui veut garder les mains libres, fait la sourde oreille.

Mais Erdogan, qui rappelle que la Turquie est membre de l’OTAN, lui, n’attend que cela, une aide européenne pour instaurer, au minimum, un cessez-le-feu et une « no-fly zone » pour interdire les bombardements aériens. C’est d’ailleurs dans ce but qu’il se livre à son chantage aux migrants auprès de l’Europe. Mais l’UE, qui reste traumatisée par la crise des migrants de 2015, où les pays membres, Allemagne de Merkel à part (elle avait accueilli plus de 800 000 réfugiés) avaient étalé leurs divisions et leur égoïsme, fait tout pour éviter un nouvel afflux. À Lesbos (Grèce), on crie : « Dégagez! » aux migrants.

Pour réagir enfin, le médecin humanitaire Raphaël Pitti suggère un geste fort : une visite de Merkel et Macron sur la frontière turque, un peu à la manière d’un Mitterrand débarquant à Sarajevo en pleine guerre d’ex-Yougoslavie. Une autre époque…