Entre un jeune homme passé injustement par la case prison et le quotidien des résidents d’un Ehpad, il y a tout un monde… Ou peut-être pas. Ce jeudi après-midi, devant une l’audience grisonnante captivée de La Croisée Bleue, à Eaubonne (Val-d’Oise), Mara Kanté, auteur engagé et figure des quartiers de Sarcelles est revenu sur son parcours et sur l’isolement qu’il a connu en prison. L’isolement, ces personnes âgées l’ont aussi vécu d’une certaine manière. Pour elles, c’est le confinement qui a été éprouvant.
article par Raphaël Thomas, publié sur le site leparisien.fr, le 20 08 2020
« Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir, lance Mara Kanté, 33 ans, pour qui l’exercice est une première. C’est devenu ma mission de partager mon histoire de résilience. » Détenu à tort durant 29 mois en 2007 pour tentative d’homicide sur les policiers après les émeutes de Villiers-le-Bel, il revient, devant une audience conquise, sur les sentiments qui l’ont traversé durant son incarcération. « J’étais en isolement, explique-t-il. Je ne voyais personne, jetais seul dans ma cellule, seul dans la cour de la prison. »
A ce moment-là, la lecture l’a beaucoup aidé. Malcom X, Nelson Mandela… Sa rencontre avec un détenu, le bibliothécaire de la prison, a été salvatrice. La doyenne centenaire de l’Ehpad lui a d’ailleurs offert des ouvrages de Simone Veil et de Robert Badinter en signe de remerciement.
Tous se sont sentis prisonniers
L’audience est captive, pendue aux lèvres du jeune auteur. « Ici, nous avons aussi vécu une période éprouvante, confie discrètement Stéphanie Calado-Cercas, directrice de l’établissement.
Isolés pendant plusieurs mois, les habitants de La Croisée Bleue semblent s’identifier à l’expérience du jeune auteur, « c’est terrible », lance certains durant la description des semaines de solitudes vécue par Mara Kanté. « Vous aviez quand même des gens qui venaient vous rendre visite ? », interroge émue une ancienne professeure d’université.
« Pendant le confinement, ils n’ont pas vraiment exprimé leur colère et leurs sentiments, ils ont subi cette situation, explique la directrice. Là, on voit qu’ils l’ont finalement vécu de manière violente et c’est important de le verbaliser. »
Eaubonne, ce jeudi. LP/R.T.
« L’impression de ne plus être un être humain. » C’est de cette manière déchirante que Léone, 90 ans, à vécu son confinement. Cette femme passionnée de danse, n’est pas la seule à avoir ressenti l’ extrême solitude. Dans un recueil de haïku, ils sont nombreux à avoir couché sur le papier leurs maux : « Prisonnier de la vie, de quelqu’un, de quelque chose, de tout. C’est un blocage à l’envol », peut-on lire par exemple sous la plume de Viviane. Le document, joliment mis en page par l’équipe, sera remis aux familles et aux résidents la semaine prochaine en conclusion de ce mois d’activités consacrées au thème de la résilience.
Un dialogue intergénérationnel
Mara Kanté, s’est aussi intéressé au regard de son public sur le monde d’aujourd’hui. « Il faudrait plus de pognon », lance un homme provoquant les rires de ses voisins. « Les jeunes qui font des études, qui ont des diplômes et ne trouvent pas de travail, je trouve ça triste », estime plus sérieusement une femme aux cheveux blancs. Après le silence du confinement, on sent cet après-midi que le désir de s’exprimer reprend le dessus.
« Vous êtes les encyclopédies de notre pays, raconte l’auteur, intéressé par le regard de ses aînés. Vos lumières nous sont précieuses et c’est dans l’échange que nous pourrons avancer. »
C’est sous les applaudissements du public que Mara Kanté a terminé son discours. « C’est dans un moment comme celui-ci que je me rends compte que mon message est intergénérationnel, confie l’orateur. C’est un échange enrichissant pour moi comme pour eux. »
L’auditoire est conquis. « C’était très intéressant », se réjouit une résidente. « Il est bien ce type-là, lance Charles-Henri un rictus dans les yeux. Si j’avais 40 ans de moins… »