A Marseille, une auberge réservée aux femmes vulnérables

Dans le 8e arrondissement de la ville, le projet inédit d’une auberge réservée aux femmes vulnérables s’est monté grâce à la mobilisation de sept associations et de la mairie. Il devrait être reconduit pour trois ans de plus.
reportage par Robin Richardot  publié sur le site lemonde.fr/m-le-mag/ le 19 10 2022

Il faut attendre 17 heures pour que le lieu prenne doucement vie. Le temps que les enfants rentrent de l’école et les mères du travail – pour celles qui ont un emploi. Dans la cuisine, Salem et Aïssatou, une résidente de l’auberge, s’affairent pour préparer des sardines frites et une tortilla de patata pour le soir. A l’entrée de l’établissement, des enfants jouent ou regardent des vidéos.

Les sourires font presque oublier les difficultés communes aux résidents de L’Auberge marseillaise.

Aissatou, résidente aide Salem, cuisiner au sein de l’auberge marseillaise depuis mars 2022. Les résidentes peuvent également se servir dans les réserves et cuisiner leurs propres repas sil elles le souhaitent. Marseille, septembre 2022.

Dans une impasse du 8e arrondissement de Marseille, à quelques mètres des plages du Prado, dans le sud de la ville, cette ancienne auberge de jeunesse, définitivement fermée après le confinement, accueille soixante-dix femmes « vulnérables » et leurs enfants. La plupart viennent de quartiers populaires et toutes connaissent la grande précarité : plus de la moitié n’avaient aucune ressource en entrant dans l’établissement. Les profils de ces femmes sont divers : victimes de violences conjugales, de viols ou de prostitution, demandeuses d’asile, sans-domicile-fixe, accros aux drogues.

Ce lieu d’accueil et d’hébergement inédit a vu le jour en mars 2021, sous l’impulsion de la mairie de Marseille, propriétaire des lieux, et avec la mobilisation de sept associations (Amicale du nid, Nouvelle Aube, Habitat alternatif social, SOS Femmes 13, Just, Yes We Camp et Marseille Solutions). L’idée est de créer « un lieu d’émancipation et de mise à l’abri pour des femmes vulnérables, faciliter l’insertion et l’accès au logement », grâce à l’accompagnement d’une vingtaine de salariés, services civiques et stagiaires. Les résidentes peuvent profiter de quarante chambres, un réfectoire, une grande cuisine, une terrasse de 200 mètres carrés et un jardin de 3 000 mètres carrés, autant de temps qu’elles le souhaitent.

                                    « Ici, c’est chez nous »

Portrait de Jessica, 31 ans, qui vit à Marseille depuis 11 ans, elle est résidente à l’auberge depuis 5 mois. Auberge marseillaise, Marseille, septembre 2022.

Arrivée il y a cinq mois, Jessica reprend progressivement confiance en elle. Dans sa chambre, qu’elle aimerait repeindre intégralement en rose, on trouve de multiples produits de maquillage, des peluches et quatre traces de baisers au rouge à lèvres sur un mur. Jusque-là, elle dormait « à droite, à gauche. C’était trop dur », souffle-t-elle. Cette jeune femme transgenre de 31 ans, à la silhouette longiligne, cheveux longs foncés et yeux clairs, a connu des expériences difficiles dans d’autres centres d’accueil de la ville. Fatiguée par la prise d’hormones pour sa transition, elle prend le temps de se reconstruire dans « un espace calme et serein ». Une psychologue est présente toutes les deux semaines pour aider les résidentes, également accompagnées par une socio-esthéticienne, tous les jeudis. Kathy, arrivée en octobre 2021, partage la même gratitude : « Ils m’ont ouvert une porte que je n’aurais pas trouvée ailleurs. » Cette quinquagénaire était sans domicile fixe et se piquait à la cocaïne. « Aujourd’hui, j’ai une chambre, je peux ramener mes affaires sans qu’on me les vole et ça fait un an que j’ai arrêté la coke », résume-t-elle.

 

Prolonger l’expérimentation

Cette vie en collectif n’a pas toujours été évidente. Au début du projet, l’équipe associative a eu quelques conflits à gérer, entraînant des expulsions temporaires à l’hôtel. Une agora des femmes a été instaurée, tous les mardis soir, pour discuter des sujets sensibles. Aujourd’hui, ces problèmes semblent avoir disparu et ont laissé place à de nombreux moments de fête.

Safa, algérienne, résisente depuis un an et demi vit à l’auberge avec ses enfants. Tous les résidents doivent faire leurs vaisselles en fin de repas. Auberge marseillaise, Marseille, septembre 2022.

Tous les anniversaires, des enfants comme des adultes, sont célébrés en grande pompe. « Et même quand il n’y a pas de fête, on met la musique et on danse », s’anime Safa, à l’initiative des gâteaux d’anniversaire à chaque fois. Cette Algérienne de 32 ans, femme de ménage chez des particuliers, est venue en France pour soigner sa fille. Elle est arrivée à l’ouverture de l’auberge, après avoir connu la précarité des logements d’urgence. La jeune femme est surtout rassurée pour sa fille, Serine, en 6e dans un collège proche. Tous les enfants de l’auberge sont scolarisés cette année, grâce à Jane Bouvier, fondatrice de l’association locale L’Ecole au présent. La Ligue de l’enseignement a aussi rejoint le consortium des associations pour créer un centre aéré, début juillet. Il propose notamment aux enfants des activités à la plage, du sport au parc Borély, ou encore une visite de la restitution de la grotte Cosquer, dans le centre de Marseille.

Les mères sont aussi accompagnées pour faciliter leur réinsertion dans la société et gérer les formalités administratives. Depuis mars 2021, plus d’une vingtaine de personnes ou de familles ont trouvé un logement et ont pu quitter l’auberge.

« Même quand elles partent, les associations continuent à suivre ces femmes pendant un temps », rappelle Ludivine Raynaud, coordinatrice sur place. Safa compte déposer son dossier à la préfecture ce mois-ci pour obtenir des papiers français, puis chercher un appartement. « Ce ne sera pas facile de quitter l’auberge, confie-t-elle. On a nos habitudes avec l’équipe et les résidentes. » La jeune femme pourra les garder encore quelque temps. Une première convention avec la ville a été signée jusqu’en décembre, mais les discussions sont en très bonne voie pour prolonger trois ans de plus cette expérimentation, validée par tous les acteurs.

Robin Richardot (Marseille, envoyé spécial)