Les habitants juifs ou musulmans d’Autriche se retrouveront-ils bientôt sur des listes, à cause de leur pratique religieuse?
Un projet de circulaire administrative est en effet sur la table, dans une région autrichienne, le Land de la Basse-Autriche. Un projet qui suscite émotion et inquiétudes, dans un pays qui est scruté au niveau international depuis l’entrée du parti d’extrême-droite, le FPÖ, au gouvernement, en alliance avec l’ÖVP, parti conservateur mené par le chancelier Sebastian Kurz.
Ce texte de circulaire, censé appliquer des mesures de protection des animaux, émane précisément de Gottfried Waldhäusl, un homme politique issu du FPÖ. Il prévoit l’enregistrement de toute personne, juive ou musulmane, qui consomme de la nourriture casher ou halal. Cette mesure permettrait, selon les autorités autrichiennes, de limiter les abattages rituels d’animaux sans étourdissement, en vérifiant que les abattoirs n’en vendent pas plus que nécessaire.
Mesure discriminatoire ou dangereuse? Nous avons posé la question à Jérôme Segal, maître de conférences à la Sorbonne à Paris, et chercheur et journaliste à Vienne.
En quoi consistera cette mesure?
Jérôme Segal: C’est une proposition qui émane des socialistes, de Maurice Androsch (SPÖ, ndlr) , dans le Land de Basse-Autriche autour de Vienne. Cette proposition a été reprise par l’actuel référant pour la protection des animaux, Gottfried Waldhäusl qui est, lui, d’extrême droite. L’idée est d’expliciter le paragraphe 32 de la loi sur la protection des animaux, qui vise à abattre de façon traditionnelle le minimum possible d’animaux, et de le faire seulement selon les besoins spécifiques des personnes pratiquant les deux religions pour lesquelles c’est important, à savoir le judaïsme et l’islam.
Dans ce cadre là, cette circulaire administrative sera envoyée en demandant aux différents abattoirs de prouver qu’ils ont vraiment un nombre de personnes important qui justifie le nombre d’animaux qu’ils veulent saigner sans étourdissement préalable chaque année.
Au départ, c’est vraiment un acte d’administratif. Mais, évidemment, la question des listes fait débat, parce que cela rappelle comme chacun le sait les heures les plus sombres de ce pays.
Cette mesure peut-elle être considérée comme inquiétante?
J. S.: Cette mesure n’est pas spécialement inquiétante, parce que la religion des habitants est déjà connue. En Autriche, lorsqu’on déménage, lorsqu’on arrive dans le pays, ou lorsqu’un enfant naît, on dispose de trois jours pour aller dans les services de la mairie, et déclarer son adresse. A ce moment-là, la religion est demandée. Lorsque je suis arrivé en Autriche, il y a 14 ans, on m‘a demandé mon nom, mon prénom, de prouver ma nationalité française, et on m’a demandé ma religion.
Tous les habitants d’Autriche se voient demander leur religion. L’Etat autrichien a déjà potentiellement la liste de toutes les personnes qui se sont déclarées juives ou musulmanes. Depuis le Concordat, qui régit les biens entre l’Etat autrichien et l’Eglise catholique, cette question des religions est tout à fait centrale dans l’organisation de l’Etat. Cette histoire de liste qui fait beaucoup de bruit dans le monde entier, dans le journal Haaretz en Israël, dans les New York Times aux Etats Unis, repose sur une certaine méconnaissance de la situation en Autriche.
C’est parce que le FPÖ est au pouvoir que cela inquiète, ne pensez-vous pas?
J. S.: Certainement. Il y a plusieurs décisions qui ont déjà été prise par cette nouvelle majorité, et qui concrétisent cette inquiétude. Ce sont, par exemple, des mesures du programme appelé « Les Autrichiens d’abord« , qui a été mis en place par le gouvernement de droite et d’extrême droite. L’équivalent du revenu minimum, a, entre autres, été fortement remodelé, de façon à ce qu’un homme autrichien présent depuis moins de quatre ans dans le pays ne puisse plus bénéficier de ces minimas sociaux. Inversément, une femme de nationalité autrichienne en difficulté financière, qui élèverait seule ses enfants , recevrait, elle, une centaine d’euros en plus tous les mois.
Les allocations familiales sont aussi concernées. Pour les ressortissants européens qui vivent en Autriche, les allocations familiales ne sont plus les mêmes selon que l’on soit, par exemple, une femme slovaque venue pour aider les personnes âgées dans les hospices en Autriche, ou bien une femme autrichienne. Officiellement c’est pour tenir compte du coût de la vie, moindre en Slovaquie ou en Roumanie… On donne donc moins.
Le programme « Les Autrichiens d’abord » est bel est bien appliqué, et on peut encore citer d’autres exemples. Ce sont des mesures qui relèvent du nationalisme le plus criant, d’une certaine inégalité. Et ce sont des mesures déjà mises en place par ce gouvernement.