Donner une voix aux invisibles : Notre entretien avec le Parlement des Exilés

Le Parlement des Exilés est né de l’initiative de Dounya Hallaq et Rudi Osman (également fondateurs de Sillat), lors de discussions sur le projet de loi Asile et Immigration et le Pacte européen sur la migration et l’asile. Cette association indépendante a été créée en réponse à un constat préoccupant : l’absence des personnes exilées dans les débats qui les concernent directement.

Pour pallier cette absence de représentation, ils ont créé un espace spécifiquement dédié à la participation politique des personnes exilées en France. Rencontre avec Dounya et Ali Alsudani, porte parole du Parlement, arrivé en France en 2019 en provenance d’Irak.

Quelle est l’idée fondatrice du Parlement des Exilés ?

Ali : Les personnes étrangères n’ont pas le droit de participer au processus démocratique en France, que ce soit en se présentant ou en votant, même au niveau local. Pourtant, nous travaillons, payons des impôts, et faisons partie de la communauté nationale. L’objectif du projet est donc de permettre à ceux qui n’ont pas la nationalité française de participer  à la vie citoyenne.

Dounya : Nous nous sommes d’abord demandé pourquoi ils sont si absents des discussions qui les concernent directement. Est-ce un problème systémique, de formation de connaissance des institutions ? C’est à partir de cette réflexion qu’on a créé ce projet en trois étapes.

  • Une élection (actuellement en cours) : 15 exilés (7 hommes et 8 femmes) qui sont élus par leurs pairs.
  • Une première année de formation en partenariat avec l’Université Paris Nanterre, incluant un diplôme reconnu, ainsi que des cours dispensés par des experts sur des sujets tels que les institutions politiques, l’économie, et les droits humains.
  • Une deuxième année “mandat” où les élus mettent en pratique leurs apprentissages à travers des commissions thématiques (logement, culture, soins) et formulent des propositions concrètes pour améliorer le quotidien des exilés.

Pourquoi vous avez choisi le terme « Parlement » ?

Dounya : Nous nous sommes inspirés de dispositifs existants comme le Parlement des Enfants ou des Jeunes. Il s’agit de créer un espace structuré pour une population spécifique, favorisant participation et formation.

Quels sont les principaux défis auxquels le Parlement des Exilés souhaite répondre ?

Dounya : La question de la représentation, évidemment c’est très important. Après, il s’agit de montrer que les exilés possèdent une expertise, non seulement sur la migration, mais ils peuvent aussi prendre la parole sur de très nombreux sujets comme le climat, d’économie, de culture. On aimerait mettre en lumière la richesse et la diversité des expériences de ces personnes-là.

D’où viennent les exilés qui se présentent aux élections ?

Ali : Nous avons lancé une campagne médiatique, d’aller vers les personnes exilées. On a contacté plusieurs réseaux de personnes exilées  avec qui  nous avons eu l’opportunité de collaborer dans le passé, dans plusieurs villes en France. Dans un processus démocratique, on a essayé d’entrer en contact avec le plus grand nombre de personnes exilées qui peuvent être intéressées par le projet, soit pour candidater et avoir la possibilité d’être choisi, soit juste pour faire entendre leur  voix, pouvoir voter et être représenté.

Comment ces élus vont trouver une légitimité ?

Dounya :  Le programme a été conçu avec des partenaires et experts solides, alliant théorie et ateliers pratiques, comme la prise de parole, le leadership et l’organisation de campagnes. À l’issue de la première année, un diplôme délivré par l’université de Paris Nanterre et reconnu par l’État leur sera remis.

En deuxième année, ils travailleront au sein de commissions sur des thématiques comme l’accès au logement, à la culture ou aux soins. L’objectif est qu’ils deviennent des experts de ces sujets et qu’ils formulent des propositions concrètes pour améliorer le quotidien des personnes exilées. Cela leur permettra de se faire un réseau, d’être reconnus sur ces questions, et d’avoir une voix qui compte dans les débats publics. Plusieurs élus, locaux et nationaux, ont déjà exprimé leur intérêt pour le projet, et certains envisagent même de les accueillir  plus tard.

Vous avez dit travailler avec l’Université Paris Nanterre, quels sont vos autres partenaires ?

Dounya : Au niveau académique, on travaille avec l’Institut Jacques Delors et particulièrement l’Académie Notre Europe sur les questions européennes. On travaille également avec le CELSA, Columbia Paris et espérons élargir ce réseau académique en France et à l’international.

Comment est-ce que vous imaginez l’évolution du Parlement ?

Dounya : Pour le moment, c’est un projet pilote. C’est la première fois qu’un tel projet voit le jour. Donc, on expérimente à peu près tout. Évidemment, notre souhait et que ce parlement puisse devenir pérenne et procéder à  nouvelles élections tous les deux ans.

Ali : L’ambition, c’est de former des leaders qui soient vraiment capables de porter les ambitions de cette population d’exilés en France. Quand il y aura une série de décisions qui concernent les exilés, qu’on puisse consulter cette institution-là.

Quel message aimeriez-vous transmettre avec ce projet ?

Ali : Ce projet est essentiel pour tendre vers une démocratie idéale. Une démocratie où une partie de la population n’est ni représentée, ni écoutée, et où les décisions sont prises sans leur participation, ne pas être une démocratie idéale. Il vise vraiment à renforcer les pratiques démocratiques dans ce pays. L’objectif n’est pas seulement de se faire entendre, mais de participer pleinement à la vie citoyenne. Cette représentation, davantage citoyenne que politique, profite à tous et concerne chaque population. Nous faisons partie de la population française par définition, alors il est important de s’unir.

Dounya : Au-delà de l’enjeu démocratique, on aimerait faire changer le narratif qui oppose Français et exilés, comme si ces deux populations étaient concurrentes et comme s’il fallait donc se faire la guerre pour pouvoir avoir accès aux services publics, à l’éducation, à la santé, à l’emploi etc.. Nous voulons montrer que leurs intérêts ne sont pas opposés et qu’ils ont bien plus en commun qu’ils ne le pensent, malgré les discours qui entretiennent cette division.

C’est donc aussi un message de paix que vous aimeriez diffuser ?

Ali : Tout à fait, une des ambitions du projet, c’est d’ensuite aller vraiment à la rencontre de toutes les populations, quelles que soient leurs origines ou leur localisation, présenter les enjeux auxquels font face les populations exilées, et enfin essayer de désamorcer cette espèce de conflit artificiel qu’on essaye de créer.

 

Découvrez leur projet :