Estelle Laboureur veut « déconstruire les représentations » sur la grande pauvreté

Installée à la Réunion, Estelle Laboureur a découvert ATD Quart Monde avec les Bibliothèques de rue et se forme désormais au Croisement des savoirs et des pratiques.
Article publié sur les site atd-quartmonde.fr le 17 03 2023

« Le combat contre les injustices est mon moteur. Depuis que je suis à ATD Quart Monde, je me dis que je ne peux plus revenir en arrière », s’exclame Estelle Laboureur en évoquant son engagement dans le Mouvement. Pour elle, c’est simple, elle est « alliée, tout le temps », que ce soit au travail, avec ses amis ou sa famille, et a bien pour ambition au quotidien de faire changer le regard que porte la société sur les plus pauvres.

Il y a sept ans, elle tombe par hasard sur le site internet d’ATD Quart Monde. Elle vient de terminer son master de sociologie et s’accorde quelques mois de pause avant de chercher du travail. Ce qu’elle lit alors semble correspondre à l’engagement qu’elle recherche. Sa rencontre avec l’équipe et les enfants de la Bibliothèque de rue du quartier Monplaisir, à Angers, la conforte dans son choix. Estelle est avant tout marquée par « la simplicité et la profondeur de l’action ». Chaque mercredi, pendant un an, elle installe une bâche et quelques livres au milieu des immeubles, avec d’autres membres d’ATD Quart Monde, et des liens très forts se tissent avec les enfants et leurs familles.

Déconstruire les représentations

La jeune femme choisit ensuite de partir vivre à La Réunion. Dans ses bagages, elle glisse le contact de l’équipe de la Bibliothèque de rue sur place. Très rapidement, elle reprend son engagement dans le quartier Pierrefonds, à Saint-Pierre, dans un environnement totalement différent de celui qu’elle connaissait à Angers. Elle retrouve la joie de lire avec les enfants et découvre aussi d’autres manières de faire, davantage d’activités manuelles, des ateliers de couture et de longues conversations avec les femmes des quartiers alentours « Si je loupe une séance un mercredi, je trouve que ma semaine est incomplète, car la Bibliothèque de rue me manque trop », explique-t-elle.

Aujourd’hui chercheuse en sciences humaines et sociales et formatrice, Estelle a un agenda bien rempli. Ce n’est pas toujours simple pour elle de faire une heure de route pour venir à la Bibliothèque de rue, installée désormais au cœur du quartier Casernes. Elle a par ailleurs « franchi une marche supplémentaire » dans son engagement en découvrant le Croisement des savoirs et des pratiques. Cette démarche déposée par ATD Quart Monde vise à créer les conditions pour que le savoir issu de l’expérience de vie des personnes en situation de pauvreté puisse dialoguer avec les savoirs scientifiques et professionnels. « J’ai été tellement convaincue par la méthode que j’aimerais maintenant l’appliquer tout le temps, aller à la rencontre de la réalité de l’autre, déconstruire les représentations que l’on peut avoir du monde en général et de la grande pauvreté en particulier », souligne-t-elle.

Parmi ses étudiants, notamment à l’Institut régional de travail social, elle constate souvent en début de cours « une idée assez globale ou vraiment incomplète, voire des préjugés, sur la pauvreté. Puis, à l’issue du cours, ils sont généralement déstabilisés et prêts à rebondir, à reconstruire leurs visions avec de nouvelles connaissances et à se projeter dans de nouvelles pratiques », constate-t-elle. Elle s’appuie notamment sur les écrits et témoignages produits par ATD Quart Monde depuis 1957 qui permettent « d’ouvrir un champ très vaste de connaissances sur ces réalités, de regarder ce monde en face, de sortir du déni, de la peur de l’autre, de sa différence ». Pour approfondir son propre apprentissage, Estelle a elle-même commencé en septembre dernier une formation proposée par ATD Quart Monde sur le Croisement des savoirs et des pratiques.

Un mouvement intergénérationnel

Elle avoue que cet engagement assidu n’est pas toujours simple à concilier avec sa vie personnelle. « Cela demande beaucoup d’humilité, de remises en question, de réflexions incessantes sur le sens de chaque action. On peut se sentir débordé et il faut apprendre à ne pas s’épuiser », constate-t-elle. Il faut aussi trouver sa place dans un « mouvement intergénérationnel qui tient sur un petit noyau de personnes » dans cette île de l’océan Indien. Ce n’est « pas toujours évident, mais très riche », souligne-t-elle. « J’ai rarement vu un endroit qui rassemble ainsi des mondes d’horizons complètement différents qui se nourrissent des connaissances et du vécu des uns et des autres. »

Elle se sent parfois aussi bouleversée par la réalité de vie « tellement complexe et dure » des personnes en situation de pauvreté. « Heureusement, la force d’ATD Quart Monde est d’être ensemble pour accueillir les paroles de chacun et surtout en faire quelque chose », affirme Estelle. Son engagement lui permet de « se relier à une saine révolte » qu’elle sent bouillonner en elle et qu’elle choisit ainsi de « mettre au service de l’éradication de la misère et de la lutte pour l’égale dignité ». ATD Quart Monde est pour elle un mouvement « citoyen, qui nous ramène à notre situation d’humain avec beaucoup d’humilité » et qui « l’habite à chaque instant ».

Ce portrait est extrait du Journal d’ATD Quart Monde de mars 2023.

Pour en savoir plus sur le Croisement des savoirs et des pratiques departement.croisementdessavoirs@atd-quartmonde.org