La mort de George Floyd aux Etats-Unis a provoquée une immense vague de protestation et d’indignation qui a très largement dépassé le cadre de la légitime dénonciation des violences policières et du racisme qui sévit encore outre-Atlantique. Les chiffres sont hélas là pour témoigner de cette triste réalité : chaque année à peu près un millier de personnes sont tuées par la police américaine, dont 25% sont des hommes noirs. L’académie nationale des Sciences américaine (PNAS) nous indique que les hommes noirs ont ainsi 2,5 fois plus de chance que les blancs d’ère tués par la police !
Le débat nécessaire – qui se doit d’être apaisé quoique lucide – sur le sentiment d’appartenance de chacun d’entre nous à la Nation, qui aurait dû accompagner ce mouvement de protestation a, en France, pris la forme d’un certaine parallélisme avec la mort d’Adama Traoré, suite à son interpellation par la Gendarmerie nationale, à Beaumont-sur-oise, en juillet 2016.
Avec l’institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), nous avons voulu donner la parole à des acteurs engagés, reconnus et respectés pour le dynamisme de leurs actions de terrains, la densité et légitimité de leurs travaux universitaires, les responsabilités politiques qu’ils occupent, ainsi que les réflexions concrètes qu’ils mènent pour faire vivre la République, dans la diversité de ses citoyens et de ses territoires…
Ils sont huit et représentent une France, riche de sa diversité, résolument tournée vers son avenir – quoique consciente de son passé et de ses zones d’ombres – et surtout soucieuse de la nécessité de s’engager pour le bien commun et l’intérêt général de tous et de chacun…
Emmanuel Dupuy, Président de l’IPSE, Pierre Henry Président de France Fraternités
#USA-France, mêmes combats ?
Premier invité, Ibrahim Sorel Keita est depuis 2013, vice-président de SOS Racisme. Il est également depuis 2008, président de la chaîne de télévision de la diversité BDM-TV (Banlieues Diversités Médias, diffusée sur le canal 31 de la TNT). Fondateur de la Club de la Presse Africaine, avec Antoine Glaser et Ramatu Keita, il est actuellement Chargé de cours en droit au sein de l’Université Paris XIII, Villetaneuse. Il est l’auteur de l’ouvrage « Cité Rose – Parole d’habitants » (éditions Unicités, 2015).
1) Le décès de George Floyd à Minneapolis lors d’une interpellation et l’immense vague de protestation et d’indignation qui s’en est suivi, aux Etats-Unis et un peu partout dans le monde s’est invité dans le débat politique en France, à l’aune de l’Affaire autour de la mort d’Adama Traoré en juillet 2016. Existe-t-il, selon vous, un lien entre les deux affaires ? Que cela révèlerait-il en France, comme aux Etats-Unis et ailleurs ?
Georges FLOYD et Adama TRAORE associés sur une fresque, sur un mur, d’une ville de Banlieue, dont l’édile mon ami Azédine TAÏBI, s’est retrouvé au cœur d’une violente polémique opposant le syndicat policier Alliance au comité justice pour Adama. Le Maire de STAINS en inaugurant l’œuvre d’art a été accusé de valider l’amalgame entre l’assassinat raciste et violent survenu à Minneapolis et la mort tragique mais accidentelle, selon les policiers, du gamin de Beaumont.
Au-delà des postures et des crispations, des différences spatiales et historiques, cette affaire stanoise révèle les difficultés voire l’impossibilité en France de reconnaitre des évidences attestées par maintes et maintes études. Le racisme et les violences existent dans notre pays, ils tuent ces derniers temps majoritairement des jeunes noirs ou arabes. Adama TRAORE est mort suite à une rencontre avec des gendarmes qui ont fait preuve ou tout au moins suscités de la violence mortifère. Avant lui Zyed et Bouna ont succombé à cause de cette crainte d’être confrontés aux forces de l’ordre qu’il faut fuir le plus possible pour éviter de se faire « massacrer ».
Est-ce rationnel ou pas ? peu importe. Est-ce normal ? non.
À partir de là nait ce sentiment de peur haine ressenti par les noirs et au-delà les minorités vivant dans les quartiers populaires ou ils sont dix fois plus souvent contrôlés par la police que les autres.
Est-ce du racisme ? ça en a la couleur et au fond peu importe c’est juste inadmissible en France pays des lumières et des droits de l’homme plus théoriques qu’effectifs. Alors l’image de cette mort américaine peut leur rappeler leur propre « agonie » en dépit de la différence de contexte spatial et historique.
2) A l’aune de la mort de George Floyd, et la question du racisme qui gangrène la société américaine, a été, ainsi, relancé le débat sur l’identité nationale et l’intégration républicaine, à l’aune d’une interrogation sur le racisme qui existerait au sein des institutions chargées du maintien de l’ordre en France (police, gendarmerie nationale). Au-delà, certains s’interrogent sur les méthodes d’interpellations utilisées par les forces de maintien de l’ordre. Comment rebâtir de la confiance entre forces de l’ordre et citoyens, notamment là, où les tensions sont les plus fortes, dans les banlieues ?
Le racisme et les discriminations existent dans la société Française. On les retrouve donc aussi dans les institutions telles que la police et la gendarmerie. Nier cette réalité est absurde et il ne s’agit pas de jeter l’opprobre sur toute l’institution policière ou de gloser sur un prétendu racisme systémique. Certes la fréquence d’actes et propos des forces de l’ordre peut troubler, mais la police Française n’est pas raciste, bien que certains de ses membres brebis galeuses de plus en plus voyantes le soient. Avec une tendance forte et régulière à s’en prendre aux mêmes, souvent jeunes, issus de l’immigration et habitants de quartiers populaires de banlieue. Avec une tendance forte et régulière à user de violences illégitimes et disproportionnées. Les jeunes de banlieue n’en sont pas les seules victimes. L’épisode des gilets jaunes avec des centaines de manifestants éborgnés, tabassés ou « Lbdés » le montre à souhait. Cela doit nous interpeller tous et permettre de réfléchir sur le rôle et les missions de la police dans une démocratie. En France aujourd’hui des pans entiers du territoire sont en révolte voire en sécession vis à vis de la police. La confiance a fait place à la méfiance et au rejet et « Nique la police » est devenu « Brûle la police ».
Les jeunes de la Grande Borne qui ont jeté des cocktails Molotov aux patrouilles de Grigny et Viry ont aussi tenté d’empêcher des agents de s’extraire de leurs véhicules en flamme. La violence est devenue barbarie criminelle, il est urgent d’intervenir pour arrêter cette guerre de tranchée, cette spirale folle qui dynamite le pacte républicain. Il faut convoquer des états généraux consacrés à cette question et préparer les conditions du retour d’une véritable police de proximité, avec des agents expérimentés et bien formés dans les quartiers difficiles. Des agents respectueux du droit et de l’uniforme, des agents mieux payés et reconnus mais sanctionnés avec la plus grande sévérité à la moindre incartade. La formation et l’éducation notamment civique doivent être promues dans nos banlieues où l’Etat doit assurer une forte présence à travers ses services publics et un ambitieux programme d’accès à l’emploi, à la culture et aux loisirs.
3) La légitime question sur « qu’est-ce qu’être français, aujourd’hui ? » semble ouvert par cette actualité brulante. Il faut s’en réjouir. Néanmoins, nombreux sont ceux qui redoutent que ce débat – qui a toujours fécondé la République, à travers son histoire et ses bégaiements – ne « dérape » vers une approche plus militante d’un antiracisme qui se voudrait plus revendicatif dans sa volonté d’interroger, voire de se substituer au récit historique (esclavagisme, colonialisme, occidentalisme…). Comment appréhender sereinement et le plus ouvertement possible cette question ?
La vague de protestation qui a déferlé sur la planète entière suite au décès de Georges FLOYD n’a pas épargné la France, où les jeunes se sont mobilisés dès le début. Les slogans et mots d’ordre affichés et brandis dans ces grands et nombreux rassemblements exigeaient plus de justice et d’égalité. Cela est sain et réjouissant que cette génération qu’on jugeait amorphe et individualiste, ait réinscrit l’antiracisme devenu ringard ces dernières années au cœur de l’actualité et de l’agenda politique. Cette indignation juvénile annonce l’irruption d’une génération morale et responsable, qu’on avait déjà aperçue dans les mobilisations en faveur du climat. Cette génération conscientisée et concernée, doit éviter d’être pris en otage ou instrumentalisée par des militants antiracistes, d’un genre nouveau, dont l’agenda et les motivations sont d’une toute autre nature.
Nombre de ceux que certains médias en mal d’excitations inédites appellent les nouveaux antiracistes, manient volontiers l’outrance et l’amalgame et parfois la violence notamment à l’égard de ceux qui ne partagent pas leur vision sectaire et revancharde de la société, condamnée à des tensions permanentes du fait de pêchés originels. Le récit national doit évidemment intégrer des pages essentielles de l’histoire de ce pays, notamment les drames et douleurs liés à l’esclavage et à la colonisation, mais aussi les combats, réussites et épopées des milliers d’hommes et de femmes venus d’ailleurs qui ont fécondé et réenchanté le rêve Français. Ils ont été soldats libérateurs, ouvriers bâtisseurs, scientifiques inventeurs, artistes et sportifs enchanteurs et ils doivent retrouver toute leur place dans ce récit dont la vocation principale est de donner corps et de revivifier le pacte républicain dans une perspective de destin commun mieux appréhendé et partagé.
4) Comment, dans ce contexte « explosif », faire émerger, néanmoins, un débat apaisé et dépassionné autour de la question des fractures sociales et sociétales, alors que ces dernières s’accompagnent d’une montée générale de la violence qui semble, désormais, orienter le débat public, dans les médias, sur le pavée et par le truchement d’internet et des réseaux sociaux ? En d’autres termes, comment retrouver le chemin, tous ensemble, de la République ?
Retrouver le chemin se fera entre autres par l’intégration des différentes histoires et mémoires dans la grande histoire de France. La valorisation des apports de chacun reconnu comme partie prenante de la grande aventure collective. Le retour à l’esprit du pacte fondateur de notre république bâtie autour de valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité et de solidarité, notamment à l’égard des plus fragiles. Ce ne sont pas des mots ou des concepts creux, mais des exigences et des engagements au service des citoyens, tous les citoyens quel que soit leur origine, « race » ou religion… Tous les citoyens à égale dignité.
Ibrahim Sorel Keita, vice-président de SOS Racisme