Un service public, l’ANEF, en plein chaos, entraîne la détresse des usagers ! (Suite et, hélas, pas fin)

La frise ci-dessus est un cas anonymisé traité par la permanence juridique de France Fraternités.

Elle retrace le parcours d’un de nos bénéficiaires : Monsieur Y est un ressortissant sénégalais ayant obtenu le statut de réfugié en 2015 et, par la même, un titre de séjour de dix ans expirant le 28 juin 2025. Bien qu’ayant réalisé la demande de renouvellement plus de 3 mois avant l’expiration de son titre, à savoir le 13 mars 2025, les délais de traitement anormalement élevés par la préfecture ont conduit l’employeur à suspendre le contrat de travail de l’intéressé, qui s’est retrouvé pendant plus de deux mois et demi privé de la possibilité d’attester de la régularité de son séjour.

 

Ce cas met en lumière de nombreux problèmes pratiques en droit des étrangers et notamment comment la dématérialisation des procédures de l’ANEF , pour un simple renouvellement de titre de séjour, peut entraîner la perte d’un emploi, en laissant comme unique recours aux intéressés d’ester en justice face au silence de la préfecture.


 

Obtenir un titre de séjour de plein droit dans les temps, un droit devenu illusoire ?

Les cartes de résident, valables dix ans, destinées aux personnes installées durablement en France[1] sont renouvelables de plein droit conformément aux dispositions de l’article L. 433-2 du CESEDA[2]. Toutefois, quel que soit le type de titre de séjour détenu, la procédure de renouvellement se fait par le biais de l’ANEF, sans distinction liée à la durée du titre, ni au fondement juridique du renouvellement. En 2024, 870 000 titres de séjour ont été renouvelés[3], avec des délais de traitement et d’obtention ne cessant de s’allonger. Quant aux attestations de prolongation d’instruction (ADP), délivrées dans l’attente du traitement des demandes, elles seraient presque devenues la norme. Mais, outre l’apparence du document (une simple feuille de papier ressemblant à une attestation de dépôt), ses conditions de renouvellement restent floues car la procédure diffère selon la préfecture : l’ADP peut être demandée soit via l’ANEF[4], soit par le biais de la plateforme « Démarches simplifiées », voire même par mail directement auprès de la préfecture. Trouver la bonne procédure pour demander ce renouvellement reste donc très complexe et hasardeux.

NOS PROPOSITIONS : Une procédure spécifique unifiée, solution aux carences de l’Administration ?

La délivrance d’une ADP, bien qu’elle permette de travailler, ne remplace pas pour autant un titre de séjour valide et, en raison des difficultés pour en obtenir le renouvellement, un employeur peut se voir contraint de suspendre ou de rompre le contrat de travail, du seul fait de la carence de l’Administration. Dès lors, la mise en place d’une procédure unifiée automatisée permettrait non seulement de simplifier les démarches des usagers, mais aussi d’alléger la charge des préfectures et des tribunaux. Il serait aussi pertinent d’envisager la mise en place d’une procédure spécifique de renouvellement des cartes de résident de dix ans, afin d’assurer la continuité des droits des titulaires et d’éviter tout préjudice lié aux dysfonctionnements de l’ANEF, d’autant que les préfectures ne peuvent refuser ce renouvellement qu’en se fondant sur un motif précis et sérieux, tel qu’une atteinte à l’ordre public.

Perdre son travail ne justifie pas un référé-liberté pour la jurisprudence administrative

Le Conseil d’Etat considère la liberté du travail comme une liberté fondamentale[5], mais son interprétation jurisprudentielle demeure restrictive. En effet, les conditions

d’urgence et d’atteinte au droit au travail doivent être d’une gravité exceptionnelle afin d’être recevables dans un recours en référé-liberté[6]. Cependant, cette approche est préjudiciable aux étrangers dont le titre de séjour conditionne leur droit au travail, dès lors que la lenteur de l’Administration conduisant à une perte de titre de séjour et du droit au travail n’est pas considérée par la jurisprudence administrative comme suffisante pour justifier une injonction de délivrance d’un titre de séjour en référé. À l’image de l’affaire précitée dans la frise, le référé liberté n’ayant pas abouti, il est alors possible d’agir en justice par le biais d’autres démarches telles que le référé suspension.

Des rejets implicites de demandes dus à des délais d’examen légaux trop courts

Actuellement, il apparaît pratiquement impossible pour les préfectures de respecter le délai de 4 mois en vue de statuer sur les demandes de renouvellement de titre de séjour. Or, ce délai, qui, le plus souvent, n’est pas respecté, conduit automatiquement à un refus implicite, sans examen individuel des situations[7]. La conséquence est que les tribunaux administratifs se retrouvent submergés par un contentieux souvent urgent car, par précaution, il apparaît préférable de contester le refus implicite plutôt que de courir le risque d’une irrecevabilité et de se retrouver hors délai. Les juges des référés doivent ainsi absorber une charge de travail considérable pour pallier ces refus implicites. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir des audiences en référé uniquement composées d’affaires de droit des étrangers.

NOS PROPOSITIONS : Allonger les délais d’examen par les préfectures afin d’assurer le respect des droits reconnus aux étrangers et l’accès au service public

Le droit des étrangers est une branche du droit portée par des réformes successives qui représente un enjeu politique important. Pourtant, il existe un profond décalage entre la théorie et la pratique, ce qui a pour conséquence de fragiliser les droits reconnus aux étrangers. Il serait donc de bon sens d’adapter les délais d’examen aux moyens de l’Administration, afin d’éviter que ses carences n’aboutissent à priver les administrés de leurs droits, surtout lorsqu’aucun tort ne peut leur être imputé.

[1] Conseil d’Etat, 4 octobre 2004, n° 264310.

[2] Réfugiés statutaires, personnes ayant des attaches familiales fortes ou une situation professionnelle stable, etc…

[3] Direction générale des étrangers en France (Ministère de l’Intérieur), Les chiffres de l’immigration en France – Séjour, page « 2. Légère augmentation des renouvellements de titres de séjour en 2024 (2.1)

[4] A condition toutefois que le dossier soit en instruction, ce qui pose problème, car, à défaut, toute démarche via la plateforme est impossible.

[5] Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

[6] Procédure d’urgence permettant notamment, en droit des étrangers, de faire enjoindre par la justice à une préfecture de délivrer un titre de séjour instituée par l’article L.521-2 du code de la justice administrative, le cas échéant sous astreinte financière.

[7] Conseil d’Etat, 24 février 1982, Ministre de l’Intérieur c/ X, n° 25289, au recueil, droit à un examen individuel.