Retour sur la situation au Niger, qui s’enflamme depuis la fin juillet. La présence militaire française reste très controversée dans les pays du Sahel.
Des populations sans état civil
On estime à 25 millions le nombre d’habitants au Niger. Ça reste une estimation car quatre enfants sur dix n’ont pas d’acte de naissance. On estime à 13 millions la population des moins de quinze ans, soit six enfants en moyenne par femme sans état civil. Ces enfants fantômes ne pourront ni prétendre à un diplôme, ni se permettre un déplacement à l’intérieur du pays. Les Nigériens sont majoritairement musulmans sunnites et appartiennent à différentes ethnies. Les Haoussas restent les plus présents car ils représentent 47 % de la population, mais il y a aussi les Zarma (18 %), les Peuls, les Songhaï, les Touareg, autant de peuples que l’on retrouve au Mali, au Nigeria ou au Burkina Faso.
Dans tous les pays frontaliers, le Sahel et le Sahara couvre 90 % du territoire. Mais au sud, dans la région de la capitale Niamey, les sols sont suffisamment irrigués pour la culture du mil. Malgré un système économique fragile et une dette publique qui augmente à 50 % en 2021, les rentes du pétrole et les ressources en uranium boostent l’économie nigérienne.
Le Niger indépendant
L’exploitation des ressources et l’administration militaire par la France coloniale s’est normalement arrêtée le 2 août 1960, lorsque Hamani Diori est élu président. Jusqu’à la chute du Mur en 1991, des coups d’Etat militaires s’enchaînent. Le Niger est marqué par le dictateur Seyni Kountché, président du Conseil militaire suprême, jusqu’à sa mort en 1987. Depuis son indépendance, le Niger, on est à son septième régime constitutionnel et à son quatrième régime militaire.
L’insécurité omniprésente dans le territoire
L’omniprésente insécurité au Niger est due au couplage pauvreté et surpopulation. La montée du djihadisme en est la conséquence. Mohamed Bazoum, le président actuel, est engagé dans la lutte contre le mouvement Boko Haram, notamment formé en 2002. La sécurité du Sahel implique la France avec l’opération Barkhane et son récent redéploiement soutien militaire étranger principal au Niger. La présence de l’armée française est depuis quelques mois controversé par les pays du G5, c’est à dire le Niger, le Burkina Faso, le Tchad, la Mauritanie et le Mali.
Emmanuel Dupuy est président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE) et enseignant en géopolitique à l’Université Catholique de Lille ainsi qu’à l’Institut Supérieur de gestion de Paris et à l’école des Hautes Études Internationales et Politiques.
Voici son interview dans Un pays en débat, consacré au Niger et diffusé le 18/03/2023. Emmanuel Dupuy nous aide à saisir les mécanismes du récent coup d’Etat qui bouleverse le pays.
Comment expliquez vous que Mohamed Bazoum soit l’un des rares dirigeants du G5 qui comprend le Niger, le Burkina Faso, le Tchad, la Mauritanie et le Mali qui continuent à faire confiance à la France ?
C’est un sujet de préoccupation parce que la classe politique nigérienne est de plus en plus interrogative sur la présence militaire française. Un sentiment renforcé depuis le départ des troupes de Barkhane en août 2022 du Mali et plus tard du Burkina Faso. Une partie de ces troupes sont désormais au Niger, ce qui interroge de plus en plus. La relation peut parfois sembler un peu incestueuse entre la France et le Niger. Ce dernier a cette particularité – contrairement à tous les autres pays du G5, à l’exception peut être de la Mauritanie – d’être un pôle de stabilité. L’élection de Mohamed Bazoum en février 2021 correspond à une sorte de modèle étalon du principe démocratique. Le Président précédent, Mahamadou Issoufou, ayant accompli ces deux mandats, n’a pas dérogé à la règle constitutionnelle. La particularité du Niger, contrairement au Burkina Faso qui a connu deux coups d’Etat simultanément à six mois de différence ; contrairement au Mali qui a subi le même sort depuis 2020 (deux coups d’Etat en août 2020 puis en mai 2021) ; et contrairement au Tchad, un pays voisin qui connaît un processus démocratique que l’on peut interroger. Dans ce dernier exemple, le fils du président Idriss Déby Itno, tué en avril 2009, a succédé à son père. Le Niger apparaît comme une sorte de modèle démocratique dans la région.
Pourquoi parlez vous de relations incestueuses entre la France et le Niger ? L’intervention de Barkhane dans les pays du Sahel pour combattre Boko Haram et les groupes djihadistes ne protège t-elle pas l’ensemble de l’Europe ?
Premièrement, il n’y a jamais eu d’attentat revendiqué sur le territoire européen des groupes armés terroristes venant du Sahel, contrairement à d’autres groupes armés qui ont revendiqué des attaques Al-Qaïda dans la péninsule arabique. Donc pour l’instant, la sécurisation du Sahel répond avant tout non pas à une sécurisation du continent européen, mais une sécurisation du Sahel elle-même. Elle protège les intérêts européens au Sahel, certes, mais pas véritablement d’un risque d’exportation du djihadisme sahélien sur le territoire européen. D’ailleurs nos partenaires européens l’ont parfaitement compris. Quand il s’agissait de vendre l’européanisation de l’opération Barkhane, on leur vendait l’idée qu’il fallait engager des troupes suédoises, estoniennes, tchèques ou italiennes pour sécuriser l’Europe, et ils n’y croyait que mollement. sans objectif premier la première année. Je parle de relations incestueuses tout simplement parce que s’il n’y avait pas eu la présence militaire française à Niamey, tout comme s’il n’y avait pas eu la présence militaire française à N’Djamena, au Tchad, le destin politique du président Mama Deby au Tchad et du président Bazoum au Niger, auraient été un peu plus perturbés.
Est-ce que la présence française aujourd’hui redéployée au Niger est un gage de longévité pour Mohamed Bazoum et ne revêt pas de fonction de sécurité ?
L’implication de plus en plus croissante en termes de budget que le président Bazoum veut consacrer à sa défense va de pair avec la présence militaire française. Autrement dit, il n’y avait pas autant de militaires français – on doit être à 1200 – depuis le redéploiement d’une partie de Barkhane au Niger, il n’y aurait pas la multiplication par deux, voire par quatre des budgets pour les forces de sécurité nigériennes. Au grand dam d’ailleurs de ceux qui disent qu’il fallait avant tout investir dans le champ culturel ou dans le champ éducatif. Donc la garantie sécuritaire que le président Bazoum a avec les forces françaises donne l’impression qu’il sécurise son avenir politique.
D’autres puissances tentent elles de prendre la place que la France laisse en partant du Burkina Faso ou du Mali ?
Oui alors c’est vrai, mais les puissances en question ne sont pas forcément celles auxquelles vous pensez. Vous pensez à la Russie qui pourrait essayer de vouloir déstabiliser ou profiter de la déstabilisation française ou de la francophobie. Ce qui est une réalité, mais c’est qu’il y a aussi d’autres puissances sous jacentes qui jouent à peu près le même rôle. Je pense notamment à l’Algérie, qui joue du départ des troupes françaises pour pousser ses pions. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les Algériens ont proposé un pacte sécuritaire au président Bazoum en demandant qu’il y ait une moindre implication des forces de sécurité nigériennes vis-à-vis de la France. Donc c’est vrai que la présence française au Niger s’inscrit dans une volonté de ne pas céder trop de positions à ses partenaires. Mais ce qui est particulièrement vrai aussi pour les partenaires européens. Prenons l’exemple des Italiens qui ont décidé de ne pas investir de troupes au Mali, mais qui avaient fait des troupes au Niger. Ou même aux Américains qui y ont déployé plusieurs bases de drones et qui jouent là aussi des troubles fêtes, en rappelant au président Bazoum que la présence militaire d’autres pays que la France est tout aussi importante que celle de l’ancienne puissance tutélaire coloniale.
Quelles sont les ressources disponibles au Niger ?
Elles sont multiples, mais elles sont focalisées forcément sur ce qui attire l’attention de manière médiatique la plus forte. En l’occurrence les énergies fossiles et bien évidemment les minerais que nous extrayons sans réel débat. L’uranium, par exemple, que nous extrayons du Niger : on peut partir du principe qu’un tiers des ampoules qui sont allumées sur notre territoire provient de cette production. Même si la France a décidé, sans doute pour lâcher du leste au président Bazoum, de récupérer de plus en plus d’uranium du côté du Kazakhstan. Mais disons que ce qui est une justification de la présence militaire française encore au Niger, évidemment, réside dans le sous sol de ce pays.