Etudes interrompues, difficultés à obtenir un titre de séjour, obligations de quitter le territoire… L’incompréhension demeure quant au traitement différencié pratiqué entre réfugiés ukrainiens et réfugiés africains.
Article par Coumba Kane publié sur le site lemonde.fr/afrique le 22 02 2023
Ils sont les réfugiés invisibles de la guerre en Ukraine. Etudiants ou sportifs originaires d’Afrique, tous ont vu leurs projets se fracasser le 24 février 2022 au petit matin. Pour ceux qui ont choisi la France, la vie d’après s’apparente à un parcours sans fin et éreintant. Au soulagement d’avoir survécu aux bombes russes et aux violences racistes aux frontières ukrainiennes a succédé le sentiment de vivre perpétuellement en sursis.
Car contrairement aux Ukrainiens, les réfugiés africains ont été exclus de la protection temporaire. Cette directive européenne, activée dès le 4 mars, autorise pour une durée de douze mois (renouvelable jusqu’à trois ans) l’accès au travail, au logement, à une assistance sociale et médicale à travers tous les Etats membres. Une décision validée par le Conseil d’Etat fin décembre en France.
« Je ne voulais pas partir »
Hans Mayela, 27 ans, n’en finit plus d’attendre que sa vie reprenne son cours. Quand la guerre a éclaté, l’étudiant congolais installé à Dnipro (centre de l’Ukraine) était à « trois petits mois » de son doctorat en médecine générale. Il se voyait poursuivre une spécialisation en orthopédie, puis rentrer au Congo-Brazzaville. Les premiers bombardements russes l’ont sidéré :« J’étais dans le déni. Je ne voulais pas partir, je pensais à tous ces sacrifices, tout cet argent dépensé par ma famille pour financer mes études. »
Hans Mayela fait les comptes de ses six années d’études en Ukraine : près de 22 000 dollars (environ 20 600 euros). L’étudiant finit par sauter dans un train pour Kiev avec sa petite amie congolaise, elle aussi étudiante. A la frontière polonaise, afin d’échapper au tri discriminatoire pratiqué par certains agents ukrainiens envers les ressortissants africains, Paola K. affirme qu’elle est enceinte. Le couple prend la direction de la France, pays qui leur semble familier du fait de la langue.
Arrivés au centre d’accueil des réfugiés à Paris, ils sont immédiatement hébergés par SOS Solidarités dans un hôtel associatif situé aux portes de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle. Mais faute d’avoir obtenu un titre de séjour – leur demande est toujours en cours –, les deux étudiants sont contraints de quitter les lieux. Ils sont désormais hébergés chez une amie à Vannes, d’où ils tentent de reconstruire un parcours professionnel et universitaire.
« Je veux être médecin dans un hôpital, je n’ai pas fait tous ces sacrifices pour exercer un autre métier »
Même s’il a pu valider son doctorat grâce à des cours en ligne prodigués par son université ukrainienne, Hans Mayela ne peut exercer en France, faute de titre de séjour. Il a dû se résigner à suivre une formation de cariste pour subvenir à leurs besoins. « Je n’ai pas fait tous ces sacrifices pour exercer un autre métier. Je veux être médecin dans un hôpital, j’ai été formé pour ça », se désespère-t-il. Il souhaite pratiquer en hôpital public, comme son frère, gynécologue dans l’Allier.
« C’est un énorme gâchis »
Si certains pays du continent, comme le Maroc, ont rapatrié leurs ressortissants dès le début de l’invasion russe, des centaines d’Algériens, Camerounais, Ivoiriens ou Guinéens sont restés en Europe. Un millier d’entre eux ont transité par la France, seule la moitié y serait restée. « Face aux nombreuses difficultés rencontrées en France, une bonne partie de ces étudiants ont tenté leur chance dans les pays voisins comme le Portugal, qui n’a pas opéré de tri entre déplacés » explique Abdelaziz Moundé, président de l’association La Maison des Camerounais.
Chez ces jeunes, l’incompréhension demeure quant au traitement différencié pratiqué en France entre réfugiés ukrainiens et ressortissants de pays tiers. Alors que 2 000 étudiants ukrainiens sont inscrits dans l’enseignement supérieur et bénéficient d’une aide matérielle et psychologique, leurs camarades africains, eux, n’ont vu les portes des universités s’ouvrir qu’en juillet, suite à une circulaire du ministère de l’enseignement supérieur émise après les plaintes de directeurs d’établissements et d’associations.
« Le traitement discriminatoire subi par les réfugiés africains dès leur arrivée n’en finit plus de se répercuter sur leur parcours. Et ce d’autant que leur dossier n’est pas une priorité politique, estime Pierre Henry, président de l’association France Fraternités. Pourtant, ils sont un atout pour la France, qui n’a pas payé leur formation et gagnerait à soutenir leur réinsertion. C’est un énorme gâchis. »
En un an, l’association a comptabilisé 25 obligations de quitter le territoire français (OQTF) parmi les étudiants réfugiés. Face à l’émoi suscité par ces notifications, le préfet chargé de l’accueil des déplacés fuyant le conflit en Ukraine, Joseph Zimet, avait promis un moratoire de juin à septembre. Pourtant, une dizaine de personnes en ont reçu pendant cette période. Des erreurs administratives reconnues par le ministère et qui ne sont à ce jour pas toutes rectifiées. Par ailleurs, depuis la fin du moratoire, au moins sept étudiants, algériens pour la plupart, ont aussi reçu des OQTF.
Une mince lueur se dessine avec l’annonce, en septembre, de l’octroi de 200 titres de séjour d’un an pour les étudiants africains réfugiés d’Ukraine. Mais alors que l’année universitaire touche à sa moitié, seule une centaine de titres ont pour le moment été attribués, d’après les chiffres consolidés de France Fraternités et de La Maison des Camerounais. Sollicité par Le Monde, le ministère de l’intérieur n’a pas confirmé ce décompte.
« J’ai tout perdu »
Alaedine Ayad a obtenu le précieux sésame. Un répit bienvenu après avoir fait l’objet d’une OQTF en juin dernier. Grâce à son dossier complet (inscription à l’université, attestation d’hébergement et présence d’un garant solvable), l’étudiant algérien peut poursuivre ses études en France, certes, mais dans des conditions difficiles. « La seule place que j’ai trouvée, c’était en troisième année de télécommunications à Paris-Sorbonne. C’est bien loin du doctorat en microélectronique photovoltaïque que je poursuivais à l’université de Kiev. Je suis un peu perdu… Un jour, un prof m’a humilié au tableau car j’ai beaucoup de difficultés », explique-t-il :
« C’est dur de penser que j’ai tout perdu. J’ai investi toutes mes économies pour aller étudier en Ukraine. Je vis aujourd’hui avec 600 euros par mois grâce à un job de surveillant. A la fin du mois, il me reste à peine 200 euros pour manger. J’angoisse pour la suite. Si mon titre n’est pas renouvelé en août, vais-je encore recevoir une OQTF ? »
L’impression d’une trajectoire brisée, c’est aussi le sentiment de Mohamed Zidane Diarrassouba, 17 ans. L’ancien joueur du Metalist 1925 Kharkiv, réfugié à Caen, s’accroche malgré tout à ses rêves de footballeur. Dans la ville ukrainienne, le jeune Ivoirien évoluait en première division. En Normandie, il partage ses journées entre le lycée, où il suit un bac pro gestion, et ses entraînements à la Maladrerie Omnisports, un club amateur. Bouillonnant, Mohamed Zidane Diarrassouba a la désagréable sensation de vivre une relégation :
« J’ai quitté la Côte d’Ivoire à 14 ans pour tenter ma chance. Je jouais en première division en Ukraine. Aujourd’hui, j’ai été dégradé cinq catégories plus bas. C’est difficile, car pour moi le football est plus qu’un hobby. »
Ses parents ont déboursé 3,5 millions de francs CFA (plus de 5 300 euros) pour financer son voyage jusqu’à Kharkiv. Approché par l’AS Cannes dès son arrivée grâce à une connaissance ukrainienne, il n’a pas pu s’y rendre pour des essais en raison de son statut de mineur isolé. Désormais, il espère se faire remarquer par un recruteur lors des matchs de championnat. Quadrilingue (français, anglais, russe, bambara), il ambitionne aussi de décrocher son bac pro pour suivre des études de traducteur. Il garde tout de même un œil sur ses anciens camarades de jeu ukrainien via les réseaux sociaux :
« Ils ont repris les entraînements. Parfois je trépigne, je me dis que je devrais les rejoindre. J’étais bien là-bas. »