En 1761, un navire français s’échoue sur une minuscule île perdue, dans l’océan Indien. Voici l’histoire de Tromelin, l’île des esclaves oubliés.
article du journal L’Actu de notre partenaire Playbac presse, publié le 03 03 2019
Les faits
Une exposition au musée de l’Homme, à Paris, retrace, jusqu’au 3 juin, la tragique histoire d’esclaves naufragés et abandonnés sur une île, dans l’océan Indien.
Comprendre
Le naufrage. En novembre 1760, en pleine guerre de Sept Ans, ce navire de la Compagnie française des Indes orientales prend la mer, avec 140 marins à bord, pour ravitailler l’île de France (ancien nom de l’île Maurice). Le bateau fait escale à Madagascar et embarque, sans autorisation, environ 160 esclaves malgaches. Le capitaine du navire, Jean de Lafargue, espère revendre à bon prix cette cargaison illégale à l’île Maurice. «Imprudent, il fait route de nuit et commet des grosses erreurs de navigation. Le navire s’échoue, le 31 juillet 1761, sur un récif de corail», raconte Max Guérout, du Groupe de recherche en archéologie navale (Gran) et commissaire de l’exposition. Plus de 70 esclaves, piégés dans les cales du navire, et 18 marins meurent noyés. Environ 210 rescapés gagnent une petite île, à la nage.
Le départ des Français. Les survivants s’organisent, creusent un puits, récupèrent des matériaux sur l’épave… et construisent un nouveau bateau. Deux mois plus tard, 120 Français embarquent, à destination de Madagascar, située à près de 500 km de distance. Ils abandonnent 80 Malgaches, mais ils promettent de revenir. Barthélémy Castellan du Vernet, premier lieutenant de L’Utile, alerte ses chefs. Préoccupés par les difficultés que rencontre alors la Compagnie des Indes, ils refusent de l’écouter. Quant au gouverneur de l’île Maurice, il ne veut pas porter secours à des esclaves achetés illégalement.
Les secours, 15 ans après. Le 29 novembre 1776, quelques survivants sont secourus par un navire commandé par Jacques Marie de Tromelin (qui donnera son nom à l’îlot). Ils sont ramenés sur l’île Maurice et laissés libres. Quelques mois avant, sept naufragés avaient fui par leurs propres moyens.
Les fouilles archéologiques. En 2006, des fouilles archéologiques (terrestres et maritimes) révèlent que les survivants se sont nourris de tortues et d’oiseaux et qu’ils se sont organisés en une petite société. Les archéologues mettent au jour un système d’habitat collectif, avec des ouvertures à l’abri des vents. «L’île est battue par les vents et, régulièrement, par des cyclones. Les esclaves ont dû se protéger, s’abriter… Ils ont construit des abris en pierre et en blocs de corail», explique Thomas Romon, commissaire de l’exposition et archéologue à l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives). «Ils ont bravé un interdit religieux : à Madagascar, la pierre est réservée aux tombeaux. Preuve qu’ils ont su s’adapter à leur environnement», poursuit Max Guérout. Un grand nombre
d’ustensiles en cuivre et en plomb ont été fabriqués à partir d’éléments de l’épave de L’Utile. Des bracelets, des chaînettes, une bague… ont aussi été découverts. Ces objets «non utilitaires» montrent certainement des préoccupations esthétiques.
S. Lelong
MOTS CLÉS
Commissaire : Ici, personne qui conçoit et organise la mise en place d’une exposition.
Compagnie française des Indes orientales : «Entreprise» créée par Colbert sous Louis XIV, en 1664. Elle avait le monopole du commerce entre la France et ses territoires dans les océans Indien et Pacifique. C’était un instrument de la puissance française.
Guerre de Sept Ans : Elle oppose, entre 1756 et 1763, deux blocs : la Prusse, la Grande-Bretagne, le Portugal… et la France, l’Autriche, la Russie…
Malgache Ici, venant de Madagascar. Désigne aussi la langue officielle de Madagascar.
CHIFFRES CLÉS
8 survivants sont retrouvés sur l’île en 1776, 15 ans après le naufrage de L’Utile. Il y avait sept femmes et un enfant de 8 mois.
1km2 : C’est la superficie de l’île Tromelin. Elle est longue d’environ 1700 mètres. Sa largeur maximale est de 700 mètres.
4 expéditions archéologiques ont montré comment ont survécu les esclaves abandonnés. Elles ont eu lieu entre 2006 et 2013.