Baptisé « Louise-Michel », le navire orné d’un graff de l’artiste est parti le 18 août d’un port espagnol. Il a déjà secouru 89 personnes.
article originel de The Guardian, repris et publié sur le site lemonde.fr le 28 08 2020
Le projet a été gardé secret le plus longtemps possible pour ne pas risquer d’être compromis par les autorités. Le street-artiste britannique Banksy a financé un bateau pour secourir les migrants qui tentent de rejoindre l’Europe à partir de l’Afrique du Nord, révélait, jeudi 27 août, The Guardian.
Baptisé Louise-Michel, du nom d’une anarchiste française du XIXe siècle, le navire peint en rose est parti discrètement, le 18 août, du port espagnol de Borriana, près de Valence. Il se trouve maintenant au centre de la Méditerranée, où il a secouru jeudi quatre-vingt-neuf personnes, dont quatorze femmes et quatre enfants. « Il recherche maintenant un port maritime sûr pour débarquer les passagers ou les transférer sur un navire des gardes-côtes européens », rapporte le Guardian.
La préparation de la mission s’est déroulée entre Londres, Berlin et Borriana, où le Louise-Michel avait accosté pour être équipé, rapporte le Guardian. L’artiste comme l’équipage n’ont souhaité communiquer qu’une fois leur premier sauvetage effectué. Bien renseigné, le journal britannique publie plusieurs clichés du navire en mer : on y voit un graff de Banksy représentant « une fille dans un gilet de sauvetage tenant une bouée de sauvetage en forme de cœur ».
Banksy funds refugee rescue boat operating in Mediterranean https://t.co/jLhliMnBqT
— The Guardian (@guardian) August 27, 2020
Un compte Twitter au nom du bateau a par ailleurs diffusé une photo, « dans une mer très agitée », d’une opération d’assistance au Sea-Watch 4, autre navire humanitaire des ONG Médecins sans frontières et Sea-Watch, présent dans la zone depuis la mi-août.
Yesterday morning, #LouiseMichel responded to a distress call from #Moonbird air reconnaissance plane.
89 people were rescued and brought on board Louise Michel. The survivors need a Place of Safety now.#SolidarityAndResistance pic.twitter.com/HWde3hYFqT— LouiseMichel (@MVLouiseMichel) August 28, 2020
« ALLEZ ! un bateau sponsorisé par Banksy et peint par lui, une équipe expérimentée venue de toute l’Europe, le Louise-Michel a déjà sécurisé deux opérations de sauvetage du Sea-Watch 4 et a maintenant sauvé 89 personnes par lui-même. Nous nous réjouissons de ce renfort rose ! », a publié de son côté Sea-Watch sur Twitter. Le Sea-Watch 4 a effectué jusqu’à présent trois sauvetages, récupérant à son bord plus de deux cents personnes.
« Vous avez l’air d’une dure à cuire »
Le bateau est un ancien navire des douanes françaises. Avec 31 m de long, il est de plus petite taille mais considérablement plus rapide que les habituels navires des ONG intervenant dans la zone, lui permettant de prendre de vitesse les gardes-côtes libyens.
Banksy, qui a financé le projet, ne fait pas partie de l’équipage, composé d’une dizaine de membres, des « activistes européens avec une longue expérience des recherches et des secours en mer ». La capitaine du bateau est Pia Klemp, une militante allemande pour les droits humains, connue pour avoir conduit plusieurs autres navires de sauvetage, dont le Sea-Watch 3, pour lequel elle avait décliné la médaille honorifique que la Ville de Paris souhaitait lui remettre, montrant son désaccord avec la politique migratoire menée dans la capitale. Elle fait toujours l’objet d’une enquête par la justice italienne, pour « aide à l’immigration illégale » notamment.
Pia Klemp affirme s’être assurée que ce sponsor pas comme les autres se limiterait à fournir le soutien financier à l’équipée : « Banksy ne va pas faire croire qu’il peut mieux que nous diriger un bateau, et nous n’allons pas faire semblant que nous sommes des artistes. » Avec le Louise-Michel, Pia Klemp espère pouvoir « devancer les gardes-côtes libyens avant qu’ils n’atteignent des bateaux avec des migrants et qu’ils ne les ramènent dans les camps de détention en Libye ».
Un projet féministe
L’histoire du Louise-Michel remonte à septembre 2019, lorsque Banksy contacte Pia Klemp. « Bonjour Pia, j’ai lu votre histoire dans les journaux. Vous avez l’air d’une dure à cuire », écrit-il dans un courriel consulté par le Guardian. « Je suis un artiste du Royaume-Uni et j’ai travaillé sur la crise des migrants, évidemment je ne peux pas garder l’argent. Pourriez-vous l’utiliser pour acheter un nouveau bateau ou quelque chose comme ça ? S’il vous plaît, tenez-moi au courant. Banksy. »
Ayant d’abord cru qu’il s’agissait d’un canular, Pia Klemp estime que Banksy l’a choisie en raison de ses prises de position politiques : « Je ne vois pas le sauvetage en mer comme une action humanitaire, mais comme faisant partie d’un combat antifasciste », déclare-t-elle. Les dix membres d’équipage du Louise-Michel se revendiquent tous comme des militants antiracistes et antifascistes prônant un changement politique radical, rapporte le Guardian.
Selon Lea Reisner, une infirmière chargée des opérations de secours à bord, le projet est « d’abord anarchiste, puisqu’il entend défendre la convergence des luttes pour la justice sociale, dont les droits des femmes et des LGBTIQ, l’égalité raciale, les droits des migrants, la défense de l’environnement et les droits des animaux ».
Et, « puisqu’il s’agit d’un projet féministe, seules les membres d’équipage féminins sont autorisés à s’exprimer au nom du Louise-Michel », souligne le Guardian. Pour Claire Faggianelli, autre participante au projet, il s’agit de « réveiller les consciences européennes (…). Réveillez-vous ! ».
Route migratoire la plus meurtrière
Ce sauvetage intervient alors que l’année 2020 est marquée par une recrudescence d’embarcations en Méditerranée centrale, route migratoire la plus meurtrière du monde pour les candidats à l’exil vers l’Europe, venus pour l’essentiel de Libye et de la Tunisie voisine, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). De nombreuses petites embarcations de migrants, essentiellement des Tunisiens, ont notamment accosté tout l’été sur l’île italienne de Lampedusa, au sud de la Sicile.
Dernier navire revenu de Méditerranée centrale, l’Ocean-Viking – affrété par l’ONG SOS Méditerranée – avait débarqué en Sicile au début du mois de juillet avec cent quatre-vingts migrants, avant d’être immobilisé par les autorités italiennes pour des « raisons techniques ».