Prison avec sursis requise contre les cyberharceleurs du journaliste Nicolas Hénin

Cinq personnes étaient jugées mercredi 20 avril à Paris pour avoir participé sur Twitter à une vague de cyberharcèlement contre Nicolas Hénin l’ancien journaliste et otage de l’organisation État islamique, originaire de la Sarthe.
article par Samuel Laurent publié sur le site lemonde.fr  le 20 04  2022

« Ce dossier, c’est la rencontre de personnes qui souffrent », résume dans sa plaidoirie Louis Cailliez, l’un des avocats de la défense. Le procès qui s’est tenu durant six heures, mercredi 20 avril devant la 24e chambre correctionnelle de Paris, est surtout celui d’une triste banalité, celle de la haine en meute sur des réseaux sociaux devenus des « défouloirs », selon les termes de plusieurs prévenus.

Début 2019, sur son compte Twitter, Nicolas Hénin, ancien journaliste devenu consultant, spécialiste du Moyen-Orient – et ancien otage de l’Etat islamique, durant dix mois entre 2013 et 2014 –, appelle à signaler un autre compte, celui de Patrick Jardin. Ce père inconsolable d’une victime du Bataclan en 2015, a commenté le débat sur l’éventualité du retour en France de djihadistes détenus en Syrie en estimant qu’il fallait les « fusiller », ajoutant : « tuons aussi leurs enfants d’ailleurs ».

Le réseau social supprime alors – pour la quinzième fois – le compte de M. Jardin. Ce dernier en crée aussitôt un nouveau, et fustige le « petit journaleux délateur gauchiasse ». Un message relayé par nombre de figures d’extrême droite, aboutissant à une vague de haine envers Nicolas Hénin. L’ancien journaliste et son conseil, Eric Morain, ont recensé et indexé plus de 20 000 tweets haineux envers lui. Mais seuls cinq auteurs ont été identifiés et poursuivis. Ce procès, l’une des premières affaires de « cyberharcèlement de meute » – une circonstance aggravante introduite en 2018 par la loi Schiappa – a immédiatement montré les limites de la justice en la matière : « Le ministère public est tributaire du bon vouloir des réseaux sociaux et de Twitter » pour identifier les auteurs de harcèlement, a justifié la procureure dans ses réquisitions.

Compte anonyme

Sur les cinq mis en cause, trois n’ont pas pu, ou pas souhaité, venir au tribunal. Face à M. Hénin, se trouvent donc deux personnes qui n’ont que peu en commun : Mathis C., frêle jeune homme brun de 21 ans, est étudiant dans une prestigieuse école de commerce ; tandis que Nathalie T., cheveux gris au carré, la cinquantaine, est mère de deux grands enfants et travaille comme cadre dans une grande entreprise. Une chose les rassemble cependant : leur colère contre M. Hénin.

« Putain de FDP [fils de pute], c’est lui qui mérite de se faire exécuter », avait tweeté Mathis C., sur son compte anonyme, « Le Chrétien », en réponse à un message de Damien Rieu, figure de l’extrême droite en ligne – et devenu cadre de la campagne d’Eric Zemmour. Un message publié « sous le coup de l’émotion » par un jeune homme qui se « cherchait sur le plan des idées », sans penser que Nicolas Hénin « pourrait le lire », s’excuse le jeune étudiant, qui aimerait « travailler dans la diplomatie » – ce qui fait sourire l’audience et le tribunal.

Plus diserte, Nathalie T. avait publié un long message : « Je souhaite que la prochaine victime de terrorisme soit votre gosse (…) que la peur le bouffe de l’intérieur (…) qu’avant de mourir il sache la complicité de son père avec les terroristes. » Si Mathis C. s’est confondu en excuses, Nathalie T. a beaucoup plus de mal. En garde à vue, elle a plusieurs fois dit qu’elle ne regrettait rien de son message – considéré par le parquet comme « le plus cruel » de tous – et qu’elle souhaitait « blesser moralement » M. Hénin, qui a subi dix jours d’interruption totale de travail.

« Infraction des lâches »

« Je regrette la forme, finit-elle par admettre à la barre, mais l’émotion est toujours vraie (…) j’ai du mal à vivre tout ce qu’il se passe aujourd’hui. » Twitter, c’est « un moyen de [se] lâcher », lorsque l’actualité lui donne envie de « casser [sa] télé », explique-t-elle, larmes aux yeux. Son conseil, Me Cailliez, précisera qu’elle a perdu un collègue de travail au Bataclan. « Coup de colère »« réaction impulsive », manque de maîtrise des réseaux sociaux, ce sont peu ou prou les mêmes arguments qu’ont donnés les trois prévenus absents. « Le cyberharcèlement est l’infraction des lâches », cingle Me Morain dans sa plaidoirie. Il réclame 20 000 euros de dommages et intérêts, et regrette que nombre de « siffleurs de meute » n’aient pas été poursuivis.

Dans ses réquisitions, techniques et largement appuyées sur un autre récent procès, celui des harceleurs de la jeune Mila, le parquet réclame des peines de deux à trois mois de prison avec sursis. Les avocats de la défense, eux, plaident la relaxe, au motif tant du choix de ces cinq mis en cause parmi 20 000 messages ; que du fait qu’ils n’avaient « pas conscience du harcèlement en cours » contre M. Hénin, circonstance nécessaire pour invoquer le cyberharcèlement « en meute ». Le jugement a été mis en délibéré au 15 juin.