« Electron libre« , « évêque des marges » et à la tête d’un diocèse fantôme après son éviction du diocèse d’Evreux, Monseigneur Jacques Gaillot, mort mercredi à Paris, fut l’une des figures les plus controversées et populaires de l’Eglise de France.
article signé AFP publié sur le site de challenge.fr , le 12 04 2023
« Au delà de certaines prises de position qui ont pu diviser, nous nous rappelons qu’il a surtout gardé le souci des plus pauvres et des périphéries », a déclaré mercredi soir à l’AFP la Conférence des évêques de France.
Né le 11 septembre 1935, à Saint-Dizier (Haute-Marne), fils de négociants en vins, Jacques Gaillot, licencié en théologie et diplômé de l’institut de liturgie, est ordonné prêtre en mars 1961, après avoir été mobilisé 28 mois en Algérie. Dans sa biographie on apprend que c’est à partir de cette expérience qu’il s’intéressera à la non-violence. Ce séjour algérien fut aussi l’occasion de découvrir le monde musulman et d’établir de solides liens d’amitié avec les Algériens.
Après une ascension régulière dans la hiérarchie ecclésiastique, il est nommé évêque d’Evreux en mai 1982. C’est là que ses prises de position volontiers provocatrices (il est en faveur du mariage des prêtres et des préservatifs pour lutter contre le sida par exemple) vont lui valoir progressivement une image d’évêque marginal, en conflit de plus en plus ouvert avec l’Eglise.
Le bateau tangue une première fois en février 1989, lorsque Mgr Gaillot accorde une interview au mensuel Lui et à l’hebdomadaire des homosexuels Gay-Pied. Le Vatican, « désorienté« , demande alors aux évêques de France de faire le ménage chez eux.
Le Vatican lui retire sa charge en janvier 1995. Cette éviction d’un évêque populaire, médiatique et perçu comme progressiste suscita une forte émotion en France, avec de nombreuses manifestations de soutien. A Evreux, plusieurs milliers de personnes assistent à sa messe d’adieu le 22 janvier 1995.
Après son départ d’Evreux, il est nommé à titre honorifique évêque « in partibus » de Partenia, un diocèse en Mauritanie sitifienne (région de Sétif en Algérie) disparu au Ve siècle et aujourd’hui dit « fantôme » car sans églises ni catholiques depuis des siècles. Mgr Gaillot fait alors de ce diocèse un instrument de défense des exclus (sans-papiers, sans-abri, etc).
Préservatifs et Rainbow Warrior
Il était co-président de l’association « Droits devant! », qu’il avait créée en 1994 avec le chanteur Jacques Higelin, le médecin Léon Schwartzenberg et le philosophe Albert Jacquard, et qui lutte contre la précarité et l’exclusion.
Invité régulier sur les plateaux de télévision, il défendait les occupations d’immeubles inoccupés par des familles de mal-logés, l’utilisation de préservatifs pour lutter contre le SIDA, la pilule abortive, l’ordination d’hommes mariés.
En juillet 1995, il embarque à bord du Rainbow Warrior lors de la campagne de Greenpeace contre la reprise des essais nucléaires français dans le Pacifique. A l’été 1996, il participe activement à l’occupation de l’église Saint-Bernard à Paris par quelque 300 Africains sans-papiers.
Vingt ans après son départ d’Evreux, Mgr Gaillot avait été reçu par le pape François pendant près d’une heure, en septembre 2015. Il avait alors confié à l’AFP avoir été « déstabilisé » par l’accueil informel de François au Vatican. « J’étais dans un parloir de la Maison Sainte-Marthe (où réside le pape) et une porte s’ouvre: c’est le pape qui rentre, simplement. La réunion s’est passée de manière familiale, sans protocole. C’est vraiment un homme libre. A un moment il s’est levé et a dit: vous avez un photographe? Comme il n’y en avait pas, nous avons pris (une photo) avec un (téléphone) portable« , avait-il alors raconté.
Mgr Gaillot a par ailleurs reconnu, en 2010, avoir accueilli dans son diocèse un prêtre coupable d’actes pédocriminels. Ce prêtre canadien, Denis Vadeboncoeur, avait été autorisé par l’Eglise à exercer en France malgré une condamnation à 20 mois de prison au Canada en 1985 pour de multiples faits de pédocriminalité.
Mgr Jacques Gaillot, au courant de ces faits, l’avait pourtant nommé en 1988 curé et vicaire épiscopal, le mettant en contact avec des enfants dans l’ouest de l’Eure. Il a reconnu « une erreur » et expliquait qu' »à l’époque, l’Eglise fonctionnait ainsi« .