Mohammed Moussaoui : « Sous les dehors acceptables de la liberté d’expression se manifeste un racisme latent »

Mohammed Moussaoui, le président du Conseil français du culte musulman observe, que les débats électoraux français portent de plus en plus sur l’islam. Et appelle dans cette tribune les candidats à la présidentielle à éviter « des amalgames préjudiciables à notre unité et à notre cohésion nationale » qui font apparaitre un racisme latent

tribune publiée sur le site lemonde.fr le 13 01 2022 

Notre pays s’apprête à vivre des rendez-vous électoraux importants pour son avenir et celui de nos concitoyens. Le respect du principe de laïcité et le respect de la pluralité politique appellent les autorités religieuses que nous sommes à observer une neutralité stricte vis-à-vis des acteurs politiques.

Cette neutralité ne nous interdit pas de réaffirmer les principes qui fondent notre pacte républicain et d’appeler les hommes et les femmes aspirant à la gestion des affaires publiques de notre pays à garder sereinement le cap, en évitant tout ce qui peut susciter des confusions, des amalgames et des risques de stigmatisation préjudiciables à notre unité et à notre cohésion nationale.

La cohésion et l’unité ne signifient pas uniformité ou syncrétisme ! Elles ne nous engagent pas à renoncer à nos identités et convictions religieuses ou philosophiques. Nous devons vivre ensemble dans la confiance et le respect, en intégrant nos histoires, nos parcours et nos identités plurielles.

Les polémiques se multiplient et nourrissent un racisme latent

Nous restons très attentifs aux évolutions que connaît notre société, et notamment au regard que portent certains de nos concitoyens sur notre foi et nos traditions religieuses. Le détournement de celles-ci par des extrémistes à des fins contraires aux valeurs et principes qui fondent ces mêmes traditions appelle de notre part et de la part de nos concitoyens une vigilance et une lutte ferme et continue afin de nous protéger mutuellement.

Faut-il pour autant accepter que les débats électoraux soient centrés sur notre religion, comme si celle-ci était la source de toutes nos difficultés et de tous nos maux ? Faut-il pour autant verser dans un discours essentialiste qui érige des murs entre les citoyens et crée la division dans notre pays ?

Force est de constater que, sous le couvert de la lutte contre l’extrémisme se réclamant de l’islam, le discours de certains est devenu presque un appel à se débarrasser des musulmans de France. C’est un fait : des débats et des polémiques autour de la religion musulmane se sont multipliés, un racisme latent, qui se veut imperceptible, caché sous les dehors acceptables de la liberté d’expression, se manifeste de plus en plus ouvertement.

Face à cela, même ceux qui ne revendiquent pas leur différence culturelle ou cultuelle se trouvent forcés d’affirmer une identité qu’on ne cesse de leur renvoyer. Certains sont tentés d’y adopter des logiques de renversement de stigmates : « Ce qu’on me reproche, j’en fais une fierté. » Cela pourrait donner lieu à une expression en apparence religieuse, mais foncièrement identitaire en essence. Cette expression, souvent très éloignée des finalités de la spiritualité musulmane et de ses objectifs, pourrait renforcer des attitudes et des comportements communautaristes, voire extrémistes.

Historiquement, la présence structurée de mouvements politiques, de la société civile et des corps intermédiaires offrait aux citoyens, notamment aux plus jeunes, des espaces d’expression et d’apprentissage des valeurs collectives. Elle permettait également à la contestation sociale de s’exprimer, dans un cadre démocratique, de façon saine et respectueuse de l’ordre public.

Sentiment d’exclusion de la représentation politique

Force est de constater aussi que cette présence s’est fortement réduite, ce qui donne lieu à un sentiment d’exclusion de la représentation politique et démocratique. Résultat : la contestation sociale a parfois pris la forme d’une délinquance et d’une violence défiant toutes les autorités dans la société : celle de la famille, de l’école, de l’autorité publique, mais aussi des institutions religieuses.

L’histoire nous apprend qu’à chaque fois que se sont trouvées réunies la perception – juste ou injuste – des inégalités d’ordre économique, social, ethnique ou religieux et la perception – juste ou injuste – d’un défaut de représentativité dans le débat politique et démocratique, cela a ouvert grand la porte au populisme et à l’extrémisme. Les femmes et les hommes qui aspirent à gouverner notre pays doivent évidemment se préoccuper des dérives de l’extrémisme se réclamant de l’islam ; ils doivent se préoccuper également de l’extrémisme identitaire qui nourrit une forme de haine contre les musulmans de France. Ils doivent aussi se pencher sur tous les autres sujets de préoccupation de nos concitoyens : le pouvoir d’achat, l’éducation, l’emploi, la santé…

Proposer à l’ensemble des citoyens des voies pour répondre à leurs préoccupations et élaborer des solutions conformes à leur bien commun est l’une des plus belles finalités qui doivent animer chaque femme et chaque homme politique de notre pays. Espérons que l’année 2022 leur apporte sérénité, inspiration, et procure à tous nos concitoyens paix, santé, bonheur et prospérité.

*Mohammed Moussaoui est universitaire et mathématicien, président du Conseil français du culte musulman et de l’Union des mosquées de France.