C’est un livre aussi passionnant qu’inquiétant. Pendant près d’un an, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, enquêteurs connus et reconnus du Monde, ont dirigé cinq étudiants en journalisme qui ont arpenté la Seine-Saint-Denis. Leur mission : déceler les traces concrètes de l’islamisation du département le plus pauvre de France, un sujet qui « se prête à tous les raccourcis, à tous les amalgames » et qui « effraye les tenants du politiquement correct », comme l’admettent volontiers Davet et Lhomme. L’initiative est partie de l’une des confidences retentissantes de François Hollande aux deux journalistes dans Un président ne devrait pas dire ça : « Qu’il y ait un problème avec l’islam, c’est vrai. Nul n’en doute. »
Saluons-le d’emblée : l’enquête est remarquable par son contenu et sa rigueur, servie par une galerie d’acteurs et de témoins qui ont accepté de parler sans réclamer l’anonymat. De cette directrice d’école qui se bat face aux tentatives d’intrusion religieuse à cette gynécologue atterrée par l’obscurantisme de ses patientes, de ces élus qui se livrent à toutes les compromissions pour s’attirer les faveurs des électeurs musulmans à ce syndicaliste qui réclame des salles de prière dans les dépôts de la RATP, le tableau dressé est édifiant. Les auteurs l’écrivent d’ailleurs noir sur blanc : « Oui, l’islamisation est à l’œuvre en Seine-Saint-Denis ». Dans ce département où, selon les estimations officieuses, une bonne moitié de la population est musulmane, une contre-société s’installe, avec ses codes et ses valeurs propres, en rupture avec la République.
« Des quartiers complets sont sous la coupe du halal »
Même la préfète à l’Egalité des chances du 93, Fadela Benrabia, le décrit avec une sincérité désarmante : « Quand on se lève le matin, on va faire son petit chemin pour conduire ses enfants à l’école, qu’est-ce qu’on voit ? On passe devant le kebab du coin qui est fermé parce qu’on sait que le responsable s’est fait arrêter, ensuite la première boucherie halal, la deuxième boucherie halal, la troisième boucherie halal, ensuite la libraire religieuse et le muslim style qui vend des niqabs… Qu’est-ce que ça fabrique ? Des normes. Des quartiers complets sont sous la coupe du halal. »
Nul doute que l’intérêt porté par Davet et Lhomme à ce sujet brûlant attirera les projecteurs, et c’est tant mieux. Ce lundi 15 octobre, le duo était invité dans la matinale de France Inter et a pu évoquer, à une heure de grande écoute, ce risque de sécession que refusent de voir ceux qui franchissent rarement le périphérique. Mais en lisant cet ouvrage survient la désagréable impression que les sommités du Monde sont plus écoutées que ceux qui tirent la sonnette d’alarme depuis des années. Pourquoi ces résistants de terrain – dont certains sont si bien décrits dans ce livre – n’ont-ils pas eu droit à la même attention ? Pourquoi les professeurs qui alertaient dès 2002, dans les Territoires perdus de la République, sur la montée de l’antisémitisme et du sexisme dans des établissements scolaires franciliens, n’ont-ils pas été plus écoutés à l’époque ? Pourquoi les enquêtes sur les dérives communautaristes et clientélistes qui rongent certaines banlieues suscitent-elles aussi peu de réactions pour inverser la donne sur le terrain ?
On peut d’autant plus le regretter que le temps perdu joue pour les islamistes, et donc contre la France. Car à la lecture de cette enquête implacable, on réalise l’immense poids des lâchetés et abandons successifs, et peu de solutions pour les surmonter surgissent. Comme s’il était déjà trop tard.