On ne peut continuer d’assister sans réagir au développement de la grande exclusion dans Paris. Paris déborde. Le 115 de Paris est saturé. Tous les Parisiens en font le constat. Et les professionnels de l’hébergement d’urgence sont à la limite de l’implosion.
En prenant la présidence du Samu social de Paris il y a six ans, j’avais l’ambition de refaire du 115 de Paris un véritable recours pour tous, de faire des centres d’urgence des tremplins vers des solutions durables, et de développer des alternatives à l’hébergement hôtelier, dispositif saturé et inadapté aux familles.
Aujourd’hui, le constat est rude. Le 115 de Paris n’a jamais connu une telle incapacité à répondre aux demandes qui lui arrivent. L’hébergement pour la nuit suivi d’une remise à la rue se poursuit pour les 270 personnes qui, chanceuses, parviennent à obtenir une place chaque soir. Les temps de séjour dans tous les centres, qu’ils soient d’urgence, de soins ou de réinsertion, se prolongent jusqu’à devenir contre-productifs, obérant le retour à l’autonomie des personnes. Les moyens manquent pour que les centres d’hébergement mettent en place en parallèle du suivi social des prises en charge médicale, notamment en santé mentale. 15 000 personnes en familles supplémentaires sont hébergées dans les hôtels depuis 2013, portant à 45 000 le nombre total de personnes dans ce dispositif alors que plus de 1 000 personnes en famille restent chaque jour à la rue malgré leur demande au 115.
Tous les signaux sont aujourd’hui au rouge. Et la création de places, pour l’hiver, ne suffira en rien à soulager un secteur qui en arrive à perdre le sens de son action, qui assiste, impuissant, à la remise en question de l’inconditionnalité, à la pratique inepte de la priorisation des situations, arrivée aujourd’hui à son point ultime : déterminer qui d’une femme avec un enfant en bas âge ou d’une femme enceinte et arrivée à terme, aura le droit à une place à l’hôtel. Systématiquement, les grands exclus sont ainsi laissés à la rue. Quant aux campements, on les laisse grossir jusqu’à la prochaine évacuation en urgence.
Les difficultés ont toujours existé. La sous-dotation du secteur est un phénomène chronique. Et depuis son origine le Samu social de Paris a appris à agir avec peu. Ses Présidents n’ont eu de cesse de réclamer davantage de moyens. Les moyens ont certes cru, mais trop lentement, demeurant en permanence en décalage par rapport aux besoins.
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Il faudrait, une bonne fois pour toutes que soient massivement créées des places pour éviter aux personnes de sombrer dans la rue, qu’un plan ambitieux d’accès au logement pour les personnes hébergées dans le dispositif d’urgence soit mis en œuvre, que les familles non expulsables soient régularisées, que l’on réfléchisse en termes de prévention pour les plus jeunes et les primo appelants afin de ne pas créer les sans-abri de demain, et que le dispositif d’accueil des migrants soit dimensionné avec une vision à long terme des flux et de l’intégration.
Pour ce faire, il n’y a d’autre solution qu’un véritable plan régional associant État, région, métropole, départements, villes, associations et bailleurs sociaux. Le seul Pacte parisien de lutte contre la grande exclusion, malgré les avancées qu’il a permises, ne suffit pas. Il y a plus de dix ans, l’opération des Don Quichotte avait abouti à une conférence de consensus dont on a aujourd’hui oublié les conclusions. L’époque est, il est vrai, différente, mais il est temps de se remettre tous autour de la table. Plus de 7 000 personnes sont dans les rues, autant sont coincées dans des centres d’urgence et 45 000 personnes en famille vivent dans les hôtels. Il y a urgence à agir.
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