Pour ce qui concerne les questions scolaires, le projet de loi contre « le séparatisme », rebaptisé projet de loi « confortant les principes républicains », est nettement dominé par les préoccupations d’ordre sécuritaire.
article publié sur le site theconversation.com, le 25 11 2020
L’article 18 indique que « l’instruction obligatoire est donnée dans les établissements publics ou privés » ; il interdit donc l’instruction dans la famille sauf « pour des motifs tenant à la situation de l’enfant ou à celle de la famille ». Pour pouvoir pratiquer de façon dérogatoire cette instruction en famille, il faudra une autorisation limitée à une année scolaire délivrée par le ministère de l’Éducation nationale. L’enfant devra être inscrit obligatoirement au CNED qui veillera à ce qu’il suive les cours.
Afin de mieux surveiller ce qu’il en est, l’article 20 précise l’obligation faite au maire de dresser la liste de tous les enfants soumis à l’obligation scolaire (dès 3 ans) résidant sur sa commune. Un identifiant national devra être attribué à chaque enfant.
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L’article 21 et les suivants facilitent la fermeture des écoles clandestines et, de façon plus générale, la surveillance des écoles hors contrat. Nombre de mesures pourront, dans ce cadre et dans cette optique, être prises par l’autorité administrative et académique sans intervention de la justice.
Par ailleurs, selon l’article 4, il est prévu de « punir de cinq ans de prison le fait d’user de menaces, de violence et d’intimidation contre un agent public afin d’obtenir une exemption ou une application différenciée des règles pour des motifs tirés de convictions ou de croyances. ». Une rédaction que l’on peut trouver bien alambiquée et qui devrait recevoir sans doute des observations de la part du Conseil d’État.
Face à cet ensemble de mesures, et pour mieux saisir par comparaison ce qu’il en est, il convient de savoir par ailleurs qu’une proposition de loi « visant à instaurer un délit d’entrave à la liberté d’enseigner dans le cadre des programmes édictés par l’Éducation nationale et à protéger les enseignants et personnels éducatifs » a été déposée fin octobre dernier. Elle tient en un article unique : insérer après le deuxième alinéa de l’article 131-1 du code pénal, un nouvel alinéa :
« Le fait de tenter d’entraver ou d’entraver par des pressions, menaces, insultes ou intimidations, l’exercice de la liberté d’enseigner selon les objectifs pédagogiques de l’Éducation nationale, déterminés par le Conseil supérieur des programmes, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »
Cette proposition a été faite par le sénateur de l’Oise, Olivier Paccaud, professeur agrégé d’histoire-géographie, en compagnie d’une cinquantaine de sénateurs appartenant pour la plupart au groupe Les Républicains.
Précédent historique
Il y a déjà plus d’un siècle, fin janvier 1914, la Chambre des députés avait voté une série de dispositions afin d’« assurer la défense de l’école laïque ». Les parents qui empêcheraient leurs enfants de participer aux exercices réglementaires de l’école, ou de se servir des livres qui y sont régulièrement mis en usage, seraient frappés de la même peine d’amende que dans le cas de non-fréquentation (de deux francs à quinze francs-or).
D’autre part, quiconque, exerçant sur les parents une pression matérielle ou morale, les aurait déterminés à retirer leur enfant de l’école ou à empêcher celui-ci de participer aux exercices réglementaires de l’école, sera puni d’un emprisonnement de six jours à un mois et d’une amende de seize francs à deux cents francs or. Enfin, quiconque aurait entravé ou tenté d’entraver le fonctionnement régulier d’une école publique sera frappé des mêmes peines, lesquelles seront sensiblement aggravées s’il y a eu violence, injures ou menaces.
Cette loi de janvier 1914 était une réponse finale à la déclaration solennelle de septembre 1909 des cardinaux, archevêques et évêques de France préconisant une nouvelle forme d’organisation – à savoir les « associations des pères de famille » – au but nettement affirmé :
« Vous avez le devoir et le droit de surveiller l’école publique. Il faut que vous connaissiez les maîtres qui la dirigent et l’enseignement qu’ils y donnent. Rien de ce qui est mis entre les mains et sous les yeux de vos enfants ne doit échapper à votre sollicitude : livres, cahiers, images, tout doit être contrôlé par vous […]. Nous interdisons l’usage de certains livres dans les écoles, et nous défendons à tous les fidèles de les posséder, de les lire et de les laisser entre les mains de leurs enfants, quelle que soit l’autorité qui prétend les leur imposer ».
Suivait une liste d’une quinzaine de manuels d’histoire ou d’instruction civique condamnés.
On aura noté que, si ce précédent a bien eu lieu, les peines encourues étaient alors moindres que celles envisagées dans la proposition de loi actuelle, alors même que l’attaque menée contre le fonctionnement de l’école laïque était d’une ampleur plus vaste, impulsée et coordonnée au plus haut niveau de l’Église catholique.
On remarquera aussi qu’il a fallu cinq ans pour que la loi de 1914 soit votée. De 1910 à 1913, de nombreux projets de « défense des principes répubicains » se sont succédé, mais ne sont pas allés jusqu’au bout. La IIIe République a connu, elle aussi, des tergiversations avant le passage à l’acte…
« Éclairer », non « éblouir »
Dans l’exposé des motifs de la proposition de loi confortant les principes républicains les déposée fin octobre dernier, il est indiqué que « notre école est aujourd’hui, et depuis plusieurs années, fragilisée, menacée. Certains enseignements sont contestés, parfois même refusés, au nom d’idéologies, de croyances religieuses. Le sport, les lettres, les sciences, et plus encore l’histoire et sa fille naturelle, l’instruction civique, sont ainsi régulièrement victimes des assauts obscurantistes, notamment islamistes ».
« Former la raison, instruire à n’écouter qu’elle, se défendre de l’enthousiasme qui pourrait l’égarer ou l’obscurcir, et se laisser entraîner ensuite à ce qu’elle approuve ; telle est la marche que prescrit l’intérêt de l’humanité, et le principe sur lequel l’instruction publique doit être combinée », ainsi s’exprimait Condorcet, chantre de la raison.
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Cette citation de Condorcet est sans aucun doute fort bienvenue dans cet exposé des motifs et lui donne un sens tout à fait approprié, mais à condition de l’accompagner d’une autre citation, également de Condorcet :
« On a dit que l’enseignement de la constitution de chaque pays devait faire partie de l’instruction nationale. Cela est vrai si on en parle comme d’un fait ; si on se contente de l’expliquer et de la développer ; si en l’enseignant on se borne à dire : telle est la constitution établie dans l’État et à laquelle tous les citoyens doivent se soumettre. Mais si on entend qu’il faut l’enseigner comme une doctrine conforme aux principes de la raison universelle, ou exciter en sa faveur un aveugle enthousiasme qui rende les citoyens incapables de la juger ; si on leur dit : voilà ce que vous devez adorer ou croire, alors c’est une espèce de religion politique que l’on veut créer ».
Car, comme l’a dit lui-même Condorcet, il ne saurait être question, en matière de défense de l’esprit des Lumières, d’oublier in fine qu’il ne s’agit pas d’« éblouir » mais d’« éclairer ».
De façon plus générale, si l’on se situe dans une perspective laïque, il ne devrait pas être possible d’envisager de diviniser (à leur tour… et dans une arrogance contre-productive) les savoirs et principes républicains et laïques.
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L’enseignement du fait religieux est à l’honneur depuis un certain nombre d’années. L’enseignement du fait laïque devrait lui aussi être enfin à l’ordre du jour. Et cela passe avant tout par une formation initiale et continue des enseignants beaucoup plus partagée et approfondie qu’elle ne l’a été jusque là dans ce domaine. Pour qu’ils puissent faire face de la façon la plus appropriée à partir de ce qui est d’abord et avant tout de leur ressort, la culture et la pédagogie.
Il ne saurait pour autant être question d’occulter que certaines mises en cause effectives de certains enseignements ne sauraient être tolérées, même si cela arrive beaucoup moins souvent que certains le pensent. Mais cela existe, et ce qui est intolérable ne doit pas être toléré. Cela appelle la possibilité de mesures coercitives effectives, afin notamment que ceux qui font front se sentent effectivement soutenus lorsque la limite est dépassée. Une « défense laïque » renouvelée des enseignements et des enseignants.