Traqué depuis plus de vingt ans, Félicien Kabuga, considéré comme le « financier du génocide rwandais » et l’un des principaux accusés encore recherchés par la justice internationale, a été arrêté samedi 16 mai au matin près de Paris, ont annoncé le parquet général de Paris et la gendarmerie dans un communiqué commun.
article de l’AFP et du Monde publié sur le site lemonde.fr/afrique, le 16 05 2020
Agé de 84 ans, M. Kabuga, qui résidait à Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine) sous une fausse identité, est notamment accusé d’avoir créé les Interahamwe (« ceux qui combattent ensemble », milices hutu de l’ancienne formation politique du Mouvement républicain national pour la démocratie et le développement), principal bras armé du génocide de 1994 qui fit 800 000 morts, selon l’Organisation des Nations unies.
Il était visé par un mandat d’arrêt du Mécanisme international, la structure chargée d’achever les travaux du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Selon le communiqué des autorités françaises, il faisait partie des « fugitifs les plus recherchés au monde ».
« Le Adolf Eichmann du génocide de 1994 »
« C’est évidemment une très bonne nouvelle, déclare Félicité Lyamukuru, secrétaire général d’Ibuka Europe, la principale association de victimes du génocide des Tutsis. Félicien Kabuga est le Adolf Eichmann du génocide de 1994 dans le sens où c’est lui qui a assuré la logistique, en achetant des lots très importants de machettes et en finançant la Radio des 1000 collines qui a joué un rôle majeur dans les massacres. Cette arrestation semble tellement irréelle que beaucoup n’y croient toujours pas au sein de la communauté rwandaise. »
Félicien Kabuga doit désormais être rapidement présenté au parquet de Nanterre en vue de son incarcération, puis au parquet général de Paris dans les prochains jours. S’ensuivra une procédure d’extradition devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, qui décidera de sa remise au Mécanisme international à La Haye pour qu’il y soit jugé.
Le procureur en chef du TPIR, Serge Brammertz, a précisé, dans un communiqué, que « la police française a arrêté Kabuga lors d’une opération sophistiquée et coordonnée avec des fouilles simultanées dans plusieurs endroits ». Et se réjouit de cette arrestation :
« L’arrestation de Félicien Kabuga aujourd’hui rappelle que les responsables du génocide peuvent être poursuivis, même vingt-six ans après leurs crimes. Nos premières pensées doivent être avec les victimes et les survivants du génocide rwandais. »
« Sept chefs d’inculpation »
M. Brammertz précise que Félicien Kabuga « a été inculpé par le Tribunal pénal international des Nations unies pour le Rwanda en 1997 de sept chefs d’accusation de génocide, de complicité de génocide, d’incitation directe et publique à commettre le génocide, de tentative de génocide, de complot en vue de commettre le génocide, de persécution et d’extermination, tous en relation avec des crimes commis pendant le génocide de 1994 contre les Tutsi au Rwanda ».
En 1994, Félicien Kabuga, dont une des filles était mariée à un fils du président rwandais Juvénal Habyarimana, appartenait au cercle restreint de ce dernier, dont l’assassinat, le 6 avril 1994, allait déclencher le génocide. Il présidait la Radio-télévision libre des mille collines, qui diffusa des appels aux meurtres des Tutsi, et le Fonds de défense nationale qui collectait « des fonds » destinés à financer la logistique et les armes des miliciens hutu Interahamwe, selon l’acte d’accusation du TPIR.
Il est également accusé d’avoir « ordonné aux employés de sa société (…) d’importer un nombre impressionnant de machettes au Rwanda en 1993 », avant de les faire distribuer en avril 1994 aux Interahamwe.
Réfugié en Suisse en juillet 1994 avant d’être expulsé, Félicien Kabuga avait ensuite temporairement rejoint Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo. Il avait été signalé en juillet 1997 à Nairobi, la capitale kényane, où il avait échappé à une opération destinée à l’arrêter, puis à une autre en 2003, selon l’ONG spécialisée Trial International.
« Le fait qu’il soit arrêté près de Paris sous une fausse identité soulève évidemment la question du niveau de protection dont il a pu bénéficier, s’interroge Alain Gauthier, président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda. Comment est-il parvenu à obtenir ses faux papiers ? Comment est-il arrivé jusqu’ici ? J’espère que l’enquête et le procès permettront de le savoir. Cette arrestation très importante ne doit pas faire oublier qu’il reste d’autres génocidaires en liberté et que certains sont toujours recherchés par le TPIR. La question est aussi de savoir si cette arrestation va entraîner celle d’Agathe Habyarimana [la veuve de Juvénal Habyarimana], contre laquelle une plainte a été déposée en 2008, et qui vit également en région parisienne. »
Pierre Lepidi (avec AFP)