La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a rendu public son rapport sur l’état du racisme en France en 2018.
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Bonne nouvelle : les Français sont de plus en plus tolérants à l’égard des minorités ethniques et religieuses. Mauvaise nouvelle : les Français qui leur sont le plus hostiles semblent davantage capables de commettre des actes racistes, antisémites ou islamophobes. Chaque année, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) se penche sur l’état de l’opinion (1) sur le racisme, sur la façon dont «chacun appréhende autrui, celui qui est différent ou qu’il juge différent», explique Jean-Marie Delarue, le président de la CNCDH, «c’est un baromètre en quelque sorte, qui doit guider acteurs publics et privés. Il permet de mesurer les évolutions sociales, ce qui dicte les comportements». «Comprendre les opinions est essentiel dans une démocratie, cela dit où se situe la norme», abonde Nonna Mayer, chercheuse à Sciences-Po, qui a travaillé sur le rapport.
Davantage de tolérance
Premier constat : la tolérance générale augmente. «Chaque nouvelle cohorte d’âge est plus tolérante que celle qui l’a précédée, c’est encourageant. explique Nonna Mayer. On voit aussi que plus on a fait des études, plus on est sorti de chez soi, plus on est tolérants. On dit aussi beaucoup que la gauche et la droite, ça ne veut plus rien dire aujourd’hui, mais les gens qui se situent à gauche sont plus tolérants que ceux qui se situent à droite.»
Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, depuis 2013 la tolérance augmente de façon continue. L’indice longitudinal de tolérance, un outil créé en 2008 par le professeur des universités Vincent Tiberj, était alors à 54 points, c’est-à-dire qu’un peu plus de la moitié des Français se disaient tolérants à l’égard des autres. Il s’établit désormais à 67 points, c’est-à-dire que deux tiers des Français disent accepter autrui.
«Les paroles qui ont été prononcées après les attentats par différents responsables politiques, sociaux et religieux, et le fait qu’une fraction de la communauté maghrébine s’exprime très fortement en faveur des valeurs de la République, cela a favorisé le rapprochement, juge Jean-Marie Delarue. Les événements de ce type font naître l’envie d’union, même si ça ne se concrétise pas forcément ensuite.»
Les Roms très mal acceptés.
Deuxième constat : si la tolérance générale augmente, les Roms restent très mal acceptés. L’indice de tolérance à leur égard ne dépasse pas les 37 points. L’actualité récente l’a rappelé, lorsqu’une rumeur d’enlèvement d’enfants a débouché sur une expédition punitive contre des Roms en Seine-Saint-Denis, et le renvoi de quatre personnes devant le tribunal. Les difficultés des familles roms à scolariser leurs enfants sont aussi pointées.
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«Il reste des préjugés très forts, qui relient passé et présent, sur les gens du voyage qui vivraient prétendument de rapine, conjugués à un phénomène de défiance, analyse encore le haut fonctionnaire. Il y a aussi un refus de les intégrer, avec des maires qui emploient tout un tas de procédés pour éviter que les enfants soient scolarisés. Cela augmente leur isolement.»
«Forme indirecte» de racisme
Troisième constat : les minorités les mieux acceptées globalement, les Noirs et les Juifs, sont aussi celles qui souffrent des préjugés les plus crus à leur égard, et d’actes pénalement répréhensibles – agressions verbales, physiques, profanation de cimetières, de lieux de culte… Il y a une polarisation entre une majorité plus tolérante et une minorité plus intolérante. «C’est un raidissement de la minorité très inquiétant»,estime Jean-Marie Delarue. Les actes antisémites ont ainsi fortement augmenté, passant de 311 à 541 entre 2017 et 2018 selon les chiffres du Service central de renseignement territorial, alors qu’ils avaient baissé les années précédentes. De la même façon, les Noirs restent discriminées dans leur accès à l’emploi, à un logement, à un stage… et se voient associés à des clichés «animalisants», comme ce supporteur poursuivi pour s’être livré à des cris de singe à l’endroit d’un joueur noir lors du match de foot Dijon-Amiens, mi-avril.
«Le racisme et les préjugés évoluent sans cesse à travers le temps. Ce n’est pas une réalité figée. L’antiracisme est devenu la norme dans nos sociétés, donc le racisme s’exprime plutôt sous une forme indirecte, atténuée, analyse Nonna Mayer. Dans les années 50, un tiers des gens pensaient qu’il y avait des « races inférieures », ça ne concerne plus que 8% des gens. Ça ne veut pas dire qu’on n’est plus racistes, mais qu’on l’exprime différemment : on ne dit pas « ils sont inférieurs » mais « ils sont trop différents ».»
Actes antimusulmans
Quatrième constat : si les musulmans sont moins bien-aimés que les Juifs et les Noirs, la tolérance à leur égard, comme à celle des Maghrébins en général, augmente (+ 2 points par rapport à 2017). Les actes antimusulmans sont aussi en baisse (100 actes en 2018, soit 18% de moins qu’en 2017). Et en même temps, les pratiques d’une partie des musulmans (port du voile, non-consommation d’alcool…), sont davantage qu’auparavant jugées comme non compatibles avec la société française.
Résultat, pour les femmes qui portent le voile il est plus compliqué que pour les autres d’avoir accès à une pratique sportive par exemple, comme l’a récemment rappelé la polémique autour du foulard de running retirédes rayons par Décathlon. «Ceux qui ont une aversion à l’égard d’un certain nombre de pratiques de l’islam, contrairement à ce qu’ils disent, ce n’est pas au nom de la défense des femmes, des gays, de la laïcité, c’est exactement l’inverse : plus on est hostile à l’islam, plus on est hostile aux femmes, aux gays, etc.», estime Nonna Mayer.
Sous-déclaration des agressions
Enfin, dernier constat et non des moindres : tout ce qu’on a écrit dans cet article sur les actes racistes est sans doute bien en deçà de la réalité. Le phénomène de sous-déclaration des agressions racistes, qu’il s’agisse d’une insulte ou d’une attaque physique, reste extrêmement important, déplore la CNCDH. Il y a certes, pour la troisième année consécutive, une baisse des contentieux liés à la couleur de peau, l’origine ou la religion, réelles ou supposées. «Il y a un abîme considérable qui sépare les 1 100 000 personnes qui disent victimes de racisme, et les chiffres des poursuites engagées par le parquet (6 122 en 2017) et les 561 condamnations», remarque Jean-Marie Delarue. Pour redonner confiance aux justiciables envers les institutions, la CNCDH recommande notamment aux pouvoirs publics l’interdiction des mains courantes concernant les affaires de racisme et la formation des agents qui recueillent les plaintes.
(1) Le travail de la CNCDH repose notamment sur une enquête de victimation menée par l’Insee et l’Observatoire de la délinquance et un sondage de l’Ipsos sur l’état de l’opinion, réalisé cette année entre le 6 et le 14 novembre 2018 sur un échantillon représentatif de 1 007 personnes. Des chercheurs ont ensuite analysé les résultats.