D’anciens fours, où les détenus s’entassaient pour dormir, comme enterrés vivants, ont été volontairement conservés dans un état brut. Une dalle de béton a remplacé la terre battue, une lumière diffuse ponctue le parcours mais l’ensemble reste glacial, sombre. Sur les murs subsistent les vestiges dessinés de la vie quotidienne des détenus. Des graffitis, un palmier, l’enseigne du cabaret de fortune, Die Katakombe, créé par des artistes viennois et berlinois enfermés ici, pour masquer l’horreur derrière l’art. « Les prisonniers vivaient là comme des rats dans des égouts », insiste le médiateur. Chaque matin, le camp des Milles accueille entre 350 et 500 scolaires. En 2017, 40 000 élèves franchiront ses grilles. « Principalement des classes de CM2, 3e et 1re, pour qui l’étude de la montée des fascismes et de la seconde guerre mondiale constitue un pan important du programme », explique Lionel Boulat. Ce matin, trois classes de 3e du collège Achille-Mauzan de Gap (Hautes-Alpes) sont sur place. « Cette visite est utile. Elle rend concrètes les notions du cours », estime Vincent Amouriq, leur professeur d’histoire-géographie. Depuis trois ans, avec son homologue Stéphane Hernandez, il conduit systématiquement ses classes aux Milles. « Et nous n’avons pas encore épuisé toutes les ressources pédagogiques du site », se félicite-t-il.
« Ne pas refaire les mêmes choses »
Sneakers aux pieds, smartphones dégainés, les collégiens gapençais sont des ados comme les autres. Tom, haut de survêtement de l’OM, pense qu’il va visiter « un camp de concentration ». Il fanfaronne un peu mais « espère ne pas trouver de chambres à gaz ». Althéa pose les bases abordées en classe : « Ce n’était pas un camp d’extermination mais d’internement et de déportation. Pour les juifs… mais pas seulement. » Classé « sensible » sur l’échelle du plan Vigipirate renforcé, le site-mémorial du camp des Milles est entièrement cerné de barreaux. Des militaires en gardent l’accès. Dans le grand hall, où s’enchaînent les départs de classes, la 3e de Vincent Amouriq a droit à son briefing initial. Quelques règles tombent. La casquette, c’est non. Les chewing-gums, non plus. « Ici, des gens ont souffert. Il faut respecter le lieu », souligne Lionel Boulat. Sous sa veste, cet ancien entrepreneur porte le tee-shirt du site, frappé du slogan « Fais-le pour toi, résiste ! ». Doucement, il interpelle les élèves : « Ici, c’est un camp, un musée et un mémorial. Cela sert à quoi, un lieu comme celui-ci ? Cela sert à quoi, un cours d’histoire ? » « A ne pas refaire les mêmes choses », lâche timidement un grand gaillard. « Oui, reprend le médiateur. Et aussi à comprendre qu’il y a des gens comme vous, comme moi, qui ont fait des choses pas très jolies. »
« Qu’est-ce qui va amener Hitler au pouvoir ? C’est la division de la gauche aux législatives. Il va profiter d’un attentat pour prendre les pleins pouvoirs », explique Vincent Amouriq, professeur d’histoire, à sa classe de 3e
« Le parcours se découpe en trois temps, décline Cyprien Fonvielle, directeur des lieux depuis 2009. Historique, on pose les faits ; mémoriel, on montre les conditions dans lesquelles vivaient les prisonniers ; réflexif, on se pose la question de comment on peut en arriver là et est-ce que cela peut arriver à nouveau. » Dans les longues salles introductives qui retracent l’arrivée des fascismes au pouvoir et l’instauration des lois racistes en Allemagne puis en France, Vincent Amouriq répète l’essentiel : « Rappelez-vous cette parole raciste qui se libère, y compris dans les médias. Qu’est-ce qui va amener Hitler au pouvoir ? C’est la division de la gauche aux législatives. Il va profiter d’un attentat pour prendre les pleins pouvoirs. » Crise économique, montée des partis xénophobes, crise des migrants, libération de la parole raciste, repli des démocraties… « Certains enchaînements résonnent fortement aujourd’hui », convient Cyprien Fonvielle. Aux élèves réunis autour de la maquette du camp, Lionel Boulat parle de la « déchéance de nationalité, dont François Hollande a reconnu qu’elle était une erreur ». Il évoque « les gens qui pensent que la Shoah est un détail de l’histoire. On appelle cela des révisionnistes ».