Dans un pays où l’ascenseur social semble en panne, des bénévoles se mobilisent pour conserver un semblant de méritocratie républicaine au sein des cités. A Drancy (Seine-St-Denis, 93), l’association « Agir Ensemble » accompagne les jeunes en difficultés scolaires. « Discipline, travail, réussite » sont les maitres mots de l’association. Retour sur une success story, symbole d’une France qui réussit et qu’on aime à découvrir.
Par NORA BENHAMIDA & TANGUY GARREL-JAFFRELOT
DRANCY, France – Dans ses locaux au cœur de la cité de Drancy, le fondateur de l’association Agir Ensemble Idriss Niang, prépare les prochaines heures de soutien scolaire avec les bénévoles. Des têtes apparaissent ponctuellement à travers la porte pour saluer l’équipe et donner des nouvelles au jeune homme. Eclats de rire, sourires et remerciements ponctuent les conversations. Tout à coup, une dizaine de jeunes écoliers sortent d’une des salles. Tour à tour, ils scandent « A demain Tonton Idriss ».
Avec 98 élèves suivis, l’association de « Tonton Idriss » est aujourd’hui un véritable succès. Lorsqu’il l’a créé en 2009 dans le cadre d’un projet scolaire, le jeune homme de 25 ans ne s’attendait pas un tel engouement. Alors étudiant en sciences de l’éducation, il décide de fonder une association afin de faciliter l’insertion professionnelle des jeunes. Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’objectif était ambitieux. En Seine-Saint-Denis, près d’un jeune sur trois quitte le système scolaire sans avoir obtenu de diplôme et le chômage avoisine les 20%. Pourtant, dans la ville de Drancy, 70 000 habitants, le pari est réussi et Idriss est parvenu à s’imposer comme une figure incontournable du quartier.
LUTTER CONTRE LE DECROCHAGE SCOLAIRE
Pour le fondateur de l’association, il est impératif d’effectuer un travail en amont, lorsque les jeunes sont encore à l’école. « Les 18-25 ans sont beaucoup plus difficiles à gérer » explique-t-il. Il décide ainsi de proposer du soutien scolaire gratuit aux étudiants des cités depuis maintenant 2 ans. L’aide aux devoirs est proposé du CP à la Terminale à raison de 4 fois par semaine pendant 2h.
Le projet est rapidement couronné de succès. Ils ont obtenu l’agrément CLAS (Contrat Local d’Accompagnement à la Scolarité) délivré par le Ministère de l’Education nationale. Si 12 élèves sont suivis en 2014, l’effectif passe à 98 en 2016. Les jeunes, surtout des collégiens et des primaires de Drancy, sont là parce qu’ils l’ont choisi et qu’ils sont volontaires. Il y a cependant des familles qui viennent maintenant de très loin. « On a une famille de Garges-Lès-Gonesse dans le département voisin (95) qui nous a rejoint » précise Niang. L’année prochaine, l’association craint de manquer de place et de ne pouvoir faire face à la demande. Près de 4 mois avant la rentrée des classes, des mères viennent d’ores et déjà se renseigner pour les prochaines inscriptions.
Il est vrai que les progrès sont bien souvent au rendez-vous. Les élèves gagnent en général plusieurs points sur leurs moyennes. Inès a ainsi vu sa moyenne passer de 12 à 16,5. Les 20/20 au contrôle ne sont devenus assez courants.
Dans les salles de classe, l’atmosphère est propice au travail. Les règles sont très strictes. Pas de chewing-gum. Un collégien s’est d’ailleurs déjà vu exclure pendant deux semaines pour cette raison. Deux présences sont obligatoires chaque semaine et l’école buissonnière n’est point tolérée. Si les jeunes parlent mal aux bénévoles, les parents sont d’emblée contactés.
Idriss sait comment s’y prendre pour motiver les troupes. L’année dernière, des exposés en lien avec l’euro de football ont été organisés. Des places pour des matchs ont été offertes aux élèves qui ont obtenu plus de 12 de moyenne. L’année précédente, une classe de neige avait été également mise en place pour les plus méritants.
RECONCILIER AVEC L’ECOLE
Le rôle des bénévoles est loin d’être négligeable auprès des étudiants. La Seine-St-Denis se caractérise par son incroyable diversité et son histoire migratoire. Près de 60% des mineurs du département ont, il faut le savoir, un de leurs parents d’origine étrangère. Venus du monde entier, ils ne maîtrisent pas toujours très bien le français et n’ont pas nécessairement le bagage scolaire pour aider leurs enfants.
Proposer du soutien scolaire dans des banlieues sensibles n’a rien d’exceptionnel en soit. Nombreuses sont les ONG qui se sont déjà lancées dans l’aventure par le passé. La nouveauté, c’est que les bénévoles ne sont plus des jeunes diplômés de Paris intramuros et des banlieues chics du 92. Ce sont désormais des étudiants des cités qui donnent des cours. Les jeunes s’identifient à eux et se projettent sur ces modèles de réussite et d’ascension sociale. « Ils cherchent à les imiter et à suivre leurs parcours » précise le président de l’association.
Les bénévoles cherchent également à inculquer des valeurs à des étudiants souvent désemparés et en perte de repère. Ce travail sur les valeurs semble fonctionner. Les écoliers ont eu le choix entre un voyage au ski pour ceux ayant obtenu les meilleurs résultats ou une classe verte de plus courte durée mais tous ensemble. Les jeunes se sont montrés solidaires et ont directement opté pour la seconde option. Ils ont dû vendre des calendriers et des pains au chocolat afin de financer leur voyage.
L’objectif principal de l’association reste cependant de réconcilier les jeunes avec l’école et de les remettre dans le droit chemin. « Nous cherchons à leurs montrer l’importance du travail scolaire et à leur redonner confiance en eux. Nous leur montrons qu’ils ne doivent pas avoir de limites dans leurs ambitions. Avec l’école tout est possible » explique Idriss Niang. Il en est convaincu : les cités ont un potentiel énorme. Des étudiants en médecine aux champions de foot en passant par les jeunes recrutés à Sciences Po, un certain nombre de pépites ont déjà été révélés au grand jour.
Plus miraculeux encore, Sandrine, 44 ans, a obtenu son baccalauréat grâce au travail de l’association. C’était la première fois qu’un adulte sollicitait du soutien scolaire mais les bénévoles ont tout fait pour l’aider. La jeune mère décide de se lancer après avoir arrêté l’école en 5ème. Elle se rend trois à quatre soirs par semaine dans les locaux d’Agir Ensemble. Après deux années de labeur, elle décroche son bac pro restauration avec 14/20 de moyenne. Cris, joies et félicitations ont marqué l’actualité du quartier pendant un bon moment et la jeune femme est devenue une fierté locale. Prochaine étape pour la bachelière : BTS ou contrat de qualification professionnelle pour devenir cadre.
LIRE, ECRIRE, GRANDIR
En dépit de ces succès, l’association ne s’est pas arrêtée là et continue d’innover. A la demande des parents, les maternelles sont maintenant pris en charge. Le dispositif « Lire, écrire, grandir » accueille une dizaine d’enfants.
L’objectif n’est pas de faire garderie mais de leur faire découvrir les rudiments de la lecture et de l’écriture. « Il ne s’agit pas de faire concurrence à l’Education nationale. C’est complémentaire. Ce ne sont que deux heures de jeux ludiques. Il ne faut pas trop leur bourrer le crâne» explique Idriss Niang. Le résultat est là : les bambins de 5 ans savent déjà lire et écrire avant même leur entrée en CP. Les cours ont vite été bondés et victimes de leur succès.
Les membres de l’association l’ont bien compris : il faut corriger les inégalités le plus tôt possible afin que les élèves n’accumulent pas de retard et qu’ils soient mieux armés pour réussir leur scolarité et leur vie professionnelle.
UNE DICTEE GEANTE
Plus récemment, l’association s’est lancé le pari fou d’organiser une dictée géante en partenariat avec l’association Force des mixités. Contrairement aux réticences, le succès est bel et bien au rendez-vous. L’événement a réuni 1234 personnes, battant un nouveau record à l’échelle nationale. Les participants, âgés de 7 à 89 ans, ont planché sur un extrait de Germinal d’Emile Zola. Le texte était le même pour tous, mais selon l’âge la dictée était plus ou moins longue. Maisons de retraite, associations de quartier, clubs sportifs ; tous ont répondu positivement à l’invitation d’Agir Ensemble.
La dictée des cités visait non seulement à fédérer la région mais également à donner le goût de l’écriture et de la lecture aux jeunes. Plaisir d’apprendre, vivre ensemble et dialogue intergénérationnel ont caractérisé la journée.
Le maire UDI de Drancy, Jean-Christophe Lagarde a été impressionné par ce bel exemple de mixité et de rencontres. Les événements municipaux ne parviennent que très rarement à réunir autant de personnes. Pour le fondateur de l’association, l’engouement qu’a suscité la dictée s’explique par la reconnaissance des habitants et par la proximité des bénévoles. « On est là toute l’année. On voit tout le monde au quotidien et on accueille tout le monde avec le sourire. C’est parce qu’ils veulent nous rendre la pareille qu’ils sont venus si nombreux ».
Fruit de cet engagement, il y a beaucoup moins de conflits dans le quartier. Grâce à l’association, les différents partis : mairie, école, familles ont appris à travailler ensemble. Des sorties scolaires au musée et au cinéma ont ainsi régulièrement lieu mobilisant parents, bénévoles ainsi que des agents municipaux.
Plus encore, un véritable réseau de solidarité s’est mis en place dans le département entre des familles, et des communautés qui n’avaient à l’origine pas l’habitude de se fréquenter. Des mères de famille passent de temps en temps pour donner des fournitures scolaires, quelques cahiers et des stylos. Dernier succès en date : l’obtention de manuels scolaires pour les élèves.
BAFA et permis de conduire font également partis des offres proposées par l’association. L’objectif ? Favoriser la réinsertion des jeunes et lutter contre le chômage. Les bénévoles s’attaquent également à la place des femmes dans la cité en créant une équipe féminine de futsal et en soutenant les filles dans leurs projets.
Agir Ensemble est cependant loin d’être la seule association à s’engager localement pour la réussite de sa jeunesse. Loin de l’image véhiculée par les médias, la Seine-St-Denis est en train de se réinventer à travers de multiples projets.