Parmi les grands oubliés de la crise sanitaire, les sans-abri ont été laissés à la rue, sans ressources et avec les toilettes publiques fermées durant le premier confinement. Face à la gravité de la situation, Pierrot, alors jeune SDF depuis deux ans, lance l’alerte sur la situation sur les réseaux sociaux. Grâce à la médiatisation de son histoire, il réussit à trouver un logement. Résolu à aider ses compagnons de galère, à 24 ans, Pierrot a créé un site internet pour mettre en contact des sans-abris et des familles d’accueil. Baptisée Pierrot et Biancka, cette plateforme a pris une ampleur inattendue. Le jeune homme confie à La Relève et La Peste son histoire, et ses espoirs.
Article par Marine Wolf publié sur le site lareleveetlapeste.fr, le 03 02 2021
A la rue
En mars 2020, Pierrot est contraint de quitter le CHRS (Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale) dans lequel il logeait depuis quelques mois. Il se retrouve à la rue, en plein confinement, et poste une vidéo sur le net :
« Salut c’est Pierrot. Donc du coup là je suis à Montpellier. Macron n’a rien dit pour les SDF, et j’aimerais bien savoir où on va. Où aller ? Comment on fait pour manger ? Parce que tout est fermé maintenant… ».
Son témoignage est relayé par l’humoriste Rémi Gaillard, et celui que l’on surnomme désormais Pierrot de la Lune commence à être connu sur les réseaux sociaux. Il continue ses vidéos jusqu’en décembre 2020, au cœur de l’hiver.
« Là ça caille vraiment. A Montpellier ça caille… » confie-t-il à sa caméra.
Porte d’entrée
Thierry Jougla, journaliste, est touché par son histoire et écrit un article paru dans Midi Libre. Pierrot reçoit de très nombreux messages de soutien, dont celui de Valérie. Celle-ci le contacte et lui propose les clés d’un appartement dont elle est propriétaire. Un studio refait à neuf, dans lequel il s’installe avec sa chienne Biancka.
« Le toit c’est la porte d’entrée à tout, c’est la condition pour s’en sortir. Dès la première semaine où j’ai eu le logement j’ai lancé cette plateforme. C’est un projet que j’avais, je me disais que je le ferai en sortant de la merde » raconte-t-il pour La Relève. « Quand j’ai eu mon appart je me suis renseigné sur comment créer un site internet. Je l’ai fait à l’arrache, sur mon téléphone ! ».
Pierrot & Biancka
La plateforme propose un formulaire de contact que peuvent remplir familles d’accueil volontaires et sans-abris. En quelques semaines, tout s’est accéléré.» Depuis le passage sur C8 j’ai eu des milliers de messages. Je ne peux pas répondre à tous, mais j’essaie de tout lire. Quand on me dit : je cherche un hébergement à Paris par exemple, je cherche dans mes mails et je mets en contact. J’ai été très surpris de la vague que ça a été. Il y a même des messages de gens qui habitent en Suisse, en Belgique ! »
En 2 mois, 6 personnes ont été logées.
« J’ai plein d’autres demandes et des familles d’accueil dans toute la France », constate Pierrot. « Mais c’est compliqué de trouver des regroupements qui marchent. Il faut trouver les bonnes personnes, que parfois les SDF soient prêts à bouger. Il y a aussi les exigences des familles d’accueil… Le premier contact marche pas toujours. ».Lorsqu’un sans-abri le contacte, Pierrot l’appelle et lui pose des questions pour l’aider à comprendre ses besoins. S’il détecte des addictions par exemple, il l’oriente vers une cure dans ce cas pour ensuite lui trouver une famille d’accueil à la sortie. Le jeune homme tient à les accompagner personnellement.
« C’est pas normal de vivre dans la rue. Et c’est dur de s’en sortir, moi j’ai mis 2 ans », se souvient-il.
En 2017, Emmanuel Macron avait promis lors de sa campagne que le gouvernement mettrait tout en place pour loger « tout le monde dignement ». Quelques années après, non seulement cette promesse n’a pas été respectée, mais en plus seulement 146 000 places d’hébergement d’urgence sont disponibles alors qu’il y a près de 300 000 sans-abri dans tout le pays.
Cruauté de l’histoire, 3 millions de logements sont vacants en France, et de nombreux autres sont détournés pour la location touristique via des plateformes comme Airbnb, selon les chiffres de l’association Droit au Logement qui organise un grand événement fin mars pour alerter sur la gentrification et l’augmentation indécente des loyers en France.
Pour réclamer le respect face au mépris du politique, des sans-abri ripostent en posant avec une cravate.
Pour que "la voix des sans-voix empêche les puissants de dormir"#YesWeCravate pic.twitter.com/Wqz61V8LYq— Rémi Gaillard (@nqtv) February 24, 2021
Travailler en aidant
Pour le moment, Pierrot gère seul la plateforme. Il a créé une association et une boutique baptisée « De l’herbe à la patte », soutenu par un ami rencontré lorsqu’il était à la rue. Son projet est de confier la plateforme à un professionnel pour l’améliorer, tandis que Pierrot se consacrerait à l’association, dont le but est d’aider les SDF et leurs animaux.
« On compte faire des maraudes, des sauvetages animaliers… Les sans-abris en ont besoin car ils perdent souvent leurs animaux parce qu’ils ne peuvent pas payer les frais vétérinaires ».
Il y aurait également une boutique solidaire dans laquelle serait vendus des produits pour animaux, des produits locaux ou encore des plantes médicinales. L’association et la plateforme ont pris une telle ampleur qu’il s’agit à présent d’un investissement à plein temps, entièrement bénévole.
« J’aimerais en faire mon boulot. C’est un projet qui fonctionne, qui commence à être connu. J’ai du mal à trouver du temps de repos mais je regrette pas du tout. Tant que je peux aider et voir des gens s’en sortir, ça me va ».