Des abeilles pour intégrer migrants et réfugiés

Une association permet à des demandeurs d’asile et des réfugiés de suivre une formation de plusieurs semaines pour découvrir l’apiculture. Les cours sont dispensés par un réfugié syrien. L’association Espero veut miser sur les métiers d’avenir.

reportage de Delphine Evenou publié sur le site franceinter.fr, le 16 08 2019

Coincé entre deux nœuds ferroviaires à Bobigny, au nord-est de Paris, le lopin de terre fait une centaine de mètres carrés. C’est le principal site des ruches de l’association Espero, créée fin 2016 afin de favoriser l’insertion socio-économique de personnes éloignées de l’emploi : quelques Français au chômage, mais surtout des réfugiés et des demandeurs d’asile.Le maître des lieux s’appelle Ibrahim Karout. Ce Syrien de 70 ans a fui son pays en 2013, pris en étau dans les combats entre l’armée du régime et les rebelles. Ingénieur électricien, il a toujours été passionné par l’apiculture. En arrivant en France, il fait des petits boulots, quand l’association Espero le contacte pour lui demander de devenir leur professeur d’apiculture. “J’ai dit : ‘c’est la joie de ma vie !’” lâche cet homme aux yeux bleus rieurs.

Le lopin de terre où sont disposées les ruches, à Bobigny © Delphine Evenou

“Les abeilles se fichent des bombes”

Ibrahim a toujours “joué” avec les abeilles que son père avait domptées. Âgé d’une vingtaine d’années, il avait installé des ruches dans son village d’Ayn Halakim quand celui-ci n’arrivait plus à vivre de la culture du ver à soie, puis formé les habitants à l’apiculture. “Et ça a marché !” se souvient-il.

Cette année, il apprend à une cinquantaine d’élèves un métier, mais aussi les enjeux environnementaux liés à l’insecte. L’apiculture participe par ailleurs de la reconstruction de ces personnes au parcours difficile. “Cela demande des gestes très doux parce que les abeilles n’aiment pas l’agitation“, explique Carlos Arbalaez, le cofondateur d’Espero.

Les élèves sont donc très concentrés, calmes. Pour des gens qui ont vécu des traumatismes, cela permet de gagner en confiance, et de contrôler son stress.

Une ruche à Bobigny
                                                                                     Une ruche à Bobigny © Radio France / Delphine Evenou

Former à ses métiers d’avenir

L’avantage de ce métier, détaille Ibrahim Karout, c’est qu’il “ne faut pas beaucoup d’argent, juste quelques ruches, et vous avez la récolte la même année. Après, vous augmentez le nombre de ruches“.

Tous ne finiront pas apiculteurs. L’essentiel pour Espero est de développer leurs liens sociaux, au-delà de “l’assistante sociale, du conseiller Pole Emploi, et du référent à la préfecture”. Les relations créées autour des ateliers permettent d’établir un réseau qui conduira à un potentiel futur employeur. C’est aussi un moyen d’apprendre le français.

Le site Espero à Bobigny
                                                                                    Le site Espero à Bobigny © Radio France / Delphine Evenou

Mais pour l’association, l’apiculture est tout de même loin d’être anecdotique, tout comme la permaculture et le compostage qui sont les deux autres formations dispensées par Espero. “Aujourd’hui, on est dans un changement de paradigme. L’espace vert n’est plus un lieu musée mais un lieu utile, surtout en milieu urbain. Ces compétences vont donc s’intégrer dans des métiers qui seront de plus en plus demandés en ville, comme jardinier ou paysagiste“, parie Carlos Arbalaez.

La plupart des personnes qui passent par les formations d’Espero sont envoyées par l’OFII (Office Français de l’immigration et de l’intégration), parfois également par Emmaüs Solidarités.

De nouvelles ruches ont été inaugurées au début de l’été sur le toit de la mairie du XVIIe arrondissement de Paris. L’association réfléchit aussi à des formations en hydroponie et en torréfaction.