Depuis la mort de Mahsa Amini, le 16 décembre 2022, et le début du mouvement « Femme, Vie, Liberté », le pouvoir iranien s’épuise face à la contestation intérieure. La guerre Israël-Hamas est venue accentuer la pression, tout comme l’installation de la nouvelle administration américaine, engagée dans des discussions avec l’Iran mais brandissant toujours la menace d’une guerre. Un moment décisif pour le régime des mollahs.
Un article du Droit de Vivre, revue universaliste, publié 18 avril 2025 :
Nazila Golestan, journaliste, productrice et porte-parole d’Iran HamAva
C’est dans la rue Pasteur, à Téhéran, siège du quartier général du Guide Suprême, que se prennent les décisions les plus stratégiques de la République islamique. Ce quartier ultra sécurisé, véritable zone sous contrôle des forces de sécurité, incarne l’État islamique en Iran, un lieu où s’exerce un pouvoir opaque et absolu, bien au-delà des institutions officielles. Le bureau de Khamenei, vaste et structuré, fonctionne avec un organigramme secret, exerçant une influence majeure sur la politique, l’économie et la sécurité du pays. En réalité, la dimension républicaine du régime n’a jamais existé. Les trois pouvoirs — exécutif, législatif et judiciaire — sont subordonnés aux organes parallèles contrôlés par le Beyt-e Rahbari, faisant des gouvernements successifs une simple façade aux politiques dictées par le bureau du Guide.
Mais depuis la révolution « Femme, Vie, Liberté », tout a basculé.
Un système à bout de souffle
Le courage des manifestants en Iran, engagés dans une lutte non violente contre un régime profondément misogyne et théocratique, a bouleversé les fondements mêmes de ce système. Cette mobilisation a mis à nu les contradictions du pouvoir, ébranlant jusqu’à ses soutiens au sein de l’appareil d’État. Trente mois après le déclenchement du mouvement en septembre 2022, une volonté nationale de transition vers une République laïque s’exprime désormais à voix haute. Elle se manifeste dans les débats politiques et sociaux, dans les prises de position de plus en plus nombreuses de responsables, de syndicats, du mouvement étudiant jusqu’au mouvement ouvrier.
L’Iran, pays riche en ressources naturelles — gaz, pétrole — et doté d’un immense potentiel touristique, reste un terrain vierge pour les investisseurs internationaux. Pourtant, miné par une corruption systémique, il a vu une poignée de familles proches du Guide suprême s’enrichir de manière indécente grâce aux sanctions, tandis que la majorité de la population sombrait dans la misère. Aujourd’hui, ce système est à bout de souffle.
Le véritable héritage du mouvement « Femme, Vie, Liberté », c’est la solidarité nationale qu’il a su faire émerger. Unis dans l’adversité, les Iraniens ont ravivé la flamme de la liberté et contraint le régime à ses premiers reculs stratégiques. Ainsi, malgré la fatwa d’Ali Khamenei appelant à ne pas célébrer Norouz1 cette année — au prétexte du mois de Ramadan —, des millions de personnes à travers le pays ont fêté le Nouvel An iranien en dansant et chantant dans les rues. Pour la première fois, le régime s’est trouvé incapable d’imposer une répression généralisée.
Depuis septembre 2022, et plus encore après l’attaque terroriste du Hamas contre Israël et la tragédie du 7-Octobre, la communauté internationale a elle aussi pris conscience d’une réalité devenue incontournable : la politique de complaisance envers le régime des mollahs ne fonctionne plus.
Le monde, déjà profondément ébranlé par la guerre entre la Russie et l’Ukraine, puis par le conflit entre le Hamas et Israël, ne peut pas se permettre une nouvelle guerre régionale d’ampleur — surtout pas une confrontation directe entre Israël et l’Iran.
La réalité, c’est que les négociations successives avec les gouvernements de la République islamique, souvent menées par l’intermédiaire de l’Europe, se sont soldées par des échecs. Aujourd’hui, l’annonce de la capacité nucléaire imminente de l’Iran — et la course probable à l’armement nucléaire des autres pays arabes de la région qui pourrait s’ensuivre — représente une alerte majeure pour Israël et l’ensemble du monde démocratique.
Pression maximale
Bien que le Guide suprême ait placé Massoud Pezechkian à la tête du pouvoir exécutif pour gagner du temps et poursuivre ses menaces contre Israël, cette fois-ci, Washington a décidé de reprendre la main. Mais avec une nouvelle stratégie : celle de la paix par la puissance.
Rue Pasteur, cependant, le noyau dur du pouvoir continue de miser sur des négociations indirectes. Mais au sein des familles proche du cercle du pouvoir, beaucoup comprennent désormais que les États-Unis ne prendront plus le risque de laisser l’Iran devenir une puissance nucléaire.
La destruction méthodique des milices pro-iraniennes en Syrie, au Liban et au Yémen, ainsi que le déploiement de flottes navales et des bombardiers stratégiques américains B2 à capacité nucléaire dans le Golfe Persique, ont envoyé un message clair au siège du Guide Suprême : « Si vous refusez nos conditions, votre sort pourrait être celui de la Yougoslavie. En trente jours de frappes ciblées, tous les centres stratégiques et infrastructures vitales de l’Iran pourraient être réduits à néant. »
Ce qui remonte aujourd’hui d’Iran, c’est une attente forte : celle de la fin d’Ali Khamenei, que beaucoup considèrent désormais comme le dernier Guide suprême de la République islamique.
Mais Donald Trump, sous la pression des Républicains, reste déterminé à envisager une option militaire contre l’Iran. Il dispose de peu de temps pour résoudre la crise par des négociations directes avec la rue Pasteur. La stratégie de Washington envers Téhéran s’inscrit dans la lignée de celles appliquées à l’Afrique du Sud de l’apartheid ou à l’Union soviétique : pression maximale et réduction des exportations de pétrole iranien à zéro.
Or, les familles proches du cercle du Guide Suprême, qui ont profité des années de sanctions pour contourner l’embargo et vendre le pétrole à la Chine, réalisent désormais que ce modèle arrive à son terme. Ali Khamenei, Guide suprême de la République islamique, dont la parole reste celle de l’ultime décision, sait qu’il ne lui reste plus de temps pour prolonger son règne.
Diplomatie ou destruction
D’un côté, la société iranienne réclame une séparation totale entre religion et pouvoir. De l’autre, ses fidèles alliés d’hier, enrichis grâce à l’or noir vendu à Pékin, deviennent aujourd’hui une menace pour son existence même. À 86 ans, affaibli par la maladie, Khamenei comprend qu’après la mort de Raïssi, Haniyeh et d’autres figures clés sur le sol iranien, il serait bien le prochain à être éliminé par ses proches.
C’est dans ce contexte que la rue Pasteur, épicentre du pouvoir à Téhéran, amorce un revirement stratégique en envoyant Abbas Araghchi à Oman pour entamer des discussions directes avec Steve Witkoff, chef de la délégation américaine chargée des négociations nucléaires. Cette première rencontre a eu lieu samedi 12 avril, et une deuxième série de pourparlers entre les États-Unis et l’Iran est prévue le 19 avril à Rome. En amont de ce second cycle de négociations, Rafael Grossi, directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), devait se rendre à Téhéran pour discuter des activités de surveillance et de vérification de l’AIEA dans les installations nucléaires iraniennes.
Malgré la méfiance persistante de la population iranienne vis-à-vis des négociations entre les États-Unis et le noyau dur du pouvoir autour d’Ali Khamenei — méfiance nourrie par l’expérience du JCPOA2, lorsque l’administration Obama a débloqué d’importants fonds pour l’Iran, sans que le peuple n’en voie la moindre retombée concrète, tandis que ces ressources finançaient principalement les milices et les tensions régionales — une lueur d’espoir semble néanmoins poindre.
Le début des négociations directes avec Witkoff a marqué un tournant décisif, révélant la défaite de deux camps. D’une part, le camp du « velayat-e faqih »3 qui a vu son autorité s’effondrer face aux pressions internes. Plusieurs figures influentes du Beyt-e Rahbari, inquiètes pour leurs intérêts, ont intensifié leur pression sur Khamenei, le forçant à un recul stratégique. Lui-même sait désormais qu’il sera probablement le dernier Guide suprême de la République islamique. D’autre part, les partisans de l’escalade militaire se retrouvent eux aussi affaiblis : cette ouverture diplomatique a prouvé que l’on peut envisager une transition post-théocratique par une stratégie non violente et un retour de l’Iran dans le concert des nations. Donald Trump et Steve Witkoff l’ont exprimé clairement : les États-Unis exigent que l’Iran renonce définitivement à l’arme nucléaire, avec des garanties à 100 %. En contrepartie, Téhéran serait autorisé à maintenir son programme nucléaire civil à des fins énergétiques, sous contrôle strict de l’AIEA.
Un espoir réel
Dans les rues, les marchés, les quartiers populaires, mais aussi au sein de la société civile et parmi les acteurs politiques et militants laïcs et démocrates, l’espoir que ces négociations aboutissent à un changement de régime est bien réel. Ce qui remonte aujourd’hui d’Iran, c’est une attente forte : celle de la fin d’Ali Khamenei, que beaucoup considèrent désormais comme le dernier Guide suprême de la République islamique.
Le laps de temps accordé à la rue Pasteur pour négocier est court. Et une question cruciale se pose : après la fin du règne d’Ali Khamenei, le pouvoir sera-t-il transféré à l’une des familles du cercle du pouvoir, transformant ainsi la République islamique en un régime autoritaire et militarisé de type pakistanais à la Zia-ul-Haq ? Ou bien les forces démocratiques et laïques, à l’intérieur du pays, parviendront-elles à constituer une alternative inclusive de toute tendance politique, capable de gérer une transition pacifique et d’organiser des élections libres, transparentes et équitables ?