Avec “Des pays en débat”, Pierre Henry retourne en studio pour décrypter un pays sous l’angle des droits de l’Homme. Les sujets abordés gravitent autour des libertés publiques, des droits des femmes et des diverses révoltes populaires dans certains pays du globe. Aujourd’hui, on vous parle du Yémen.
Politologue chargé de recherche au CNRS et spécialiste de la scène politique yéménite, Laurent Bonnefoy est au micro de Pierre Henry pour discuter de la situation chaotique au Yémen, un pays ravagé par la guerre civile.
Entretien avec Laurent Bonnefoy
Alors où en sommes nous en ce début d’année 2023 au Yémen ? Une trêve a été conclue entre avril et octobre dernier mais les perspectives humanitaires du pays ne se sont pas améliorée et la paix semble impossible.
En neuf ans, il y a bien eu une détérioration de la situation politique et un délitement de la société. Sur le plan humanitaire, économique, tout semble s’être détruit de la même façon : l’Etat, le système scolaire, etc. L’année 2022, elle a été caractérisée par un certain espoir. On a eu une trêve qui a été renouvelée plusieurs fois, et pourtant depuis cinq mois maintenant, on vit dans une situation bancale. L’intensité des combats a été atténuée. D’autant plus qu’il y a de nombreuses rumeurs ces derniers jours concernant un accord peut-être tacite entre la rébellion et l’Arabie Saoudite. Donc ça ne mettrait malheureusement pas fin à la guerre, mais ça constituerait une étape qui est importante, car les bombardements saoudiens ont été les plus intenses depuis 2015.
Qui sont les houthis ? Que veulent ils et par qui sont-ils soutenus ?
Le mouvement houthis se révèle dans la décennie 2000. Ils se revendiquent d’une ancienne identité yéménite marginalisée par le processus de modernisation qui a eu lieu au XXᵉ siècle. Ils se revendiquent d’une identité qu’on appelle le jaïnisme, qui est une branche du chiisme qui existait depuis depuis longtemps et était toujours vivace. Il s’est structuré dans les années 2000 jusqu’à donner naissance à un mouvement armé qui a été réprimé par le pouvoir. Il apparaissait comme marginaux, mais graduellement, par habileté de leur communication et par une composante militaire, ils se sont placés au centre du jeu politique et religieux. En 2015, ils réussissent à prendre le contrôle dans le nord du pays, probablement grâce au soutien de l’Iran.
Quel intérêt poursuivent respectivement l’Arabie Saoudite et l’Iran à entretenir ce conflit ? l’Iran du côté des rebelles houthis et l’Arabie Saoudite en soutien au gouvernement.
En soutenant les houthis, l’Iran a l’intérêt de trouver un allié sur la scène régionale. De la même façon qu’il soutient le Hezbollah au Liban, il y a cette idée d’avoir un allié local qui peut mettre à mal un ennemi direct, ici l’Arabie Saoudite. Cette dernière est intervenue dans un cadre qu’elle a considéré comme étant légal et qui a ensuite été validé par les Nations Unies. Il semble que depuis un certain nombre de mois au moins, l’Arabie Saoudite cherche à se retirer de ce conflit. Ce qui se passe, c’est que les houthis sont dans une position de force sur le terrain.
Depuis le début de ce conflit en 2014, c’est près de 400 000 morts et plus de 4 millions de personnes en exil. Où sont partis ces réfugiés ?
L’essentiel des déplacements de population se produit à l’intérieur du pays. Par exemple la ville de Marib qui était un lieu dans lequel se sont réfugiés les opposants aux touristes qui venaient de la capitale. On a une reconfiguration de la géographie intérieure. Et puis après, il est vrai qu’il y a un certain nombre de Yéménites dans les pays voisins mais les chiffres sont difficiles à obtenir. Notamment parce que les pays d’accueil sont pas signataires des Conventions de Genève. Ils ne fournissent pas des chiffres précis au HCR.
Hélas, cette guerre continue. Vous voyez une perspective de sortie de crise ?
Il y a un niveau diplomatique, tout ce qui concerne les ramifications régionales de la guerre où je pense qu’on peut être optimiste. On peut être optimiste en dépit du fait que les Iraniens ne montrent pas une volonté de s’en extraire, tout simplement. Parce qu’ils bénéficient à moindre coût du conflit et ça permet d’humilier les Saoudiens. Mais il reste que, au niveau local et national, le conflit demeure extrêmement ancré.
Sur le Yémen
Longtemps surnommé “l’Arabie heureuse” le Yémen est dans l’Antiquité synonyme de richesses en tout genre et d’abord en approvisionnement en eau. Situé au sud de l’Arabie saoudite, aussi grand que la France, comptant près de 30 millions d’habitants, cette désignation appartient aux temps anciens. Aujourd’hui la sécheresse a tout ravagé mais plus encore les guerres qui y sévissent depuis près de 30 ans.
Ce que vous entendez, là, c’est de la musique qui vient de l’Hadramaout, cette région au sud. Un genre musical yéménite qui se chante seul accompagné d’un luth. On connaît bien la Reine de Saba, mentionnée dans les récits bibliques, coraniques et hébraïques. Cette souveraine fait rêver plus d’un voyageur venu de l’Ouest ou du Levant. En son temps, les marchands et autres membres de l’élite jouaient de la musique aussi sûrement qu’aujourd’hui de la kalachnikov.
Vers l’union démocratique
Jusqu’en 1990, on ne parlait pas « du » Yémen, mais « des » Yémen. Au nord, la république arabe du Yémen, ancien royaume musulman et d’inspiration nassériste, qui naît en 1947 d’un coup d’Etat. Au sud, après une occupation britannique longue, on proclame la république populaire du Yémen en juin 1969. Mais fin 1970, la branche marxiste du FLN prend le pouvoir. Elle ambitionne de dissoudre les structures de pouvoir tribales pour avancer vers une « société sans classe ». Et annonce immédiatement la dépossession des cheikhs et des sultans de tous leurs titres et droits fonciers. Les noms tribaux et le port du poignard traditionnel sont interdits.
La république démocratique du Yémen, affaiblie par des divisions internes et par la baisse de l’aide soviétique, ne tarde pas à envisager une unification avec sa voisine du nord. Le 22 mai 1990, la république démocratique populaire du Yémen (Yémen-Sud) est fondue dans la république arabe du Yémen (Yémen-Nord).
Rapidement, les anciennes élites sud-yéménites sont marginalisées et leurs institutions sont progressivement démantelées.
Nouvelle vitesse pour la scission
En mars 2015, une coalition arabe sous bannière saoudienne déclenche une intervention militaire au Yémen. Cette coalition est censée protéger le Yémen contre une insurrection de rebelles houthis, potentiellement soutenue par l’Iran. On parle à ce jour d’au moins 380 000 morts depuis le début du conflit. En 2023, c’est plus de 21 millions de personnes à travers le pays qui auront besoin d’aide humanitaire.
Diffusion samedi 18 février 2023 à 8h20, rediffusion le dimanche à la même heure. La fréquence francilienne de Beur FM est 106.7. Si vous souhaitez écouter l’émission depuis une autre région française, vous trouverez toutes les fréquences en suivant ce lien.