Avec “Des pays en débat”, Pierre Henry retourne en studio pour décrypter un pays sous l’angle des droits de l’Homme. Les sujets abordés gravitent autour des libertés publiques, des droits des femmes et des diverses révoltes populaires dans certains pays du globe. Aujourd’hui, on vous parle du Kosovo.
Teuta Vodo est politologue et a occupé, entre 2017 et 2019, le poste de vice-ministre de la Justice en Albanie. Nous l’avons invitée pour évoquer les difficultés que rencontre le Kosovo dans son insertion européenne, mais aussi et surtout les interminables confrontations avec son pays voisin : la Serbie.
Entretien
Depuis 14 ans, le Kosovo est un Etat indépendant. Comment analysez vous cette situation toujours extrêmement tendue avec la Serbie voisine ?
Depuis son indépendance, le Kosovo a eu de nombreuses réunions et rencontres avec la communauté internationale et le pourparlers avec la Serbie en était le plus important. En fait, les deux parties ont réussi, depuis leur première rencontre en 2006, à se mettre d’accord sur de nombreux points. Mais elles restent en désaccord sur beaucoup d’autres, dont notamment l’indépendance. Il y a quatre municipalités au nord du Kosovo bordant la Serbie et elles ne sont que partiellement intégrées. De fait, elles constituent un foyer potentiel de violence. Cela dit, l’OTAN doit encore rester sur ces territoires car des tensions persistent. En fait, la crise actuelle est en grande partie le résultat de facteurs locaux.
La scène serbo-kosovare et remplie de difficultés et de désaccords identitaires et religieux. Que dîtes vous au sujet des médias qui manquent d’indépendance, des restrictions d’accès à l’information et de la menace à la liberté d’expression ?
La liberté des médias est garantie si les médias même sont financièrement viables. Donc si les journalistes bénéficient d’une protection fiable aussi. Mais dans la région des Balkans, c’est vrai que la liberté de la presse n’est pas nécessairement l’élément le plus central dans le processus d’adhésion à l’UE. Or, la priorité pour la région des Balkans c’est l’adhésion à l’Unions. Disons que ça ne fait pas forcément partie des priorités de ces pays.
Le même rapport de l’ONU souligne que l’accès à l’emploi est réduit pour les femmes, qu’elles sont loin d’être protégées contre les violences fondées sur le genre, voire que le système judiciaire tend à banaliser ces violences. Quelle est votre analyse ?
On peut voir l’égalité de genre au travers des postes qui leur sont attribués. Des postes ministériels de haut niveau, ou le poste de Première Ministre, par exemple ou bien celui de Présidente. Vjosa Osmani-Sadriu est la première cheffe d’Etat kosovare.
Vous affirmez qu’un certain nombre de femmes sont promues à des postes extrêmement importants. Mais par ailleurs, les violences faites aux femmes sont-elles punies par la législation kosovare ?
La situation socioéconomique difficile du pays touche plus profondément les femmes, qui sont les premières victimes du chômage. Les défis sur le marché du travail sont des obstacles pour les femmes, c’est vrai, mais il y a aussi la question des violences domestiques. Il y a plusieurs institutions qui luttent contre ce phénomène, mais ce n’est pas du tout évident dans une société fragile. Notons que tous les pays des Balkans, Kosovo inclus, ont signé la Convention d’Istanbul contre les violences domestiques. C’est déjà une priorité pour le gouvernement.
Quelles sont les possibilités de sorties de crise avec la Serbie ?
L’instabilité politique accrue du Kosovo est liée à l’engagement ferme sur la trajectoire européenne. Il y a l’idée d’un régime d’exemption des visas pour l’UE. Comme solution, le Kosovo doit se focaliser sur sa voie vers l’Union Européenne. Mais encore cinq pays membres ne le reconnaissent pas.
Sur le Kosovo
On se souvient du conflit qui l’a opposé à Belgrade entre 1998 et 1999 qui met en scène, pendant quelques mois, le président Milosevic et son ambition d’une “Grande Serbie”.
En 2008, le Kosovo se déclare indépendant et ce sans la reconnaissance ni de l’ONU ni de l’UE. Quatre-vingt-quinze pays ne le reconnaissent toujours pas dont la Chine et la Russie et certains Etats-membres comme l’Espagne ou la Grèce contestent son existence.
Pour comprendre la naissance du Kosovo, petit retour au début des années 90. La montée des nationalismes dérape et une guerre civile éclate. Les États fédérés de Yougoslavie clament leurs frontières, leur langue et leur indépendance. C’est un des conflits les plus importants du XXe siècle qui prend place au cœur de l’Europe, qui reste impuissante face aux milliers de morts civils et à la misère qui gangrène les populations.
Les Etats fédérés au sein de la Yougoslavie explosent dans une logique identitaire autour d’un slogan nationaliste : une nation, un territoire, une ethnie. On parle même d’une « purification ethnique ».
Le Kosovo est une ancienne province serbe. On y compte pas loin de deux millions d’habitants, la majorité albanaise musulmane. La cohabitation avec les serbes orthodoxes est source de conflits, mais ça n’est pas nouveau L’Empire ottoman et l’Empire austro-hongrois séparaient déjà, bien avant l’existence des Etats, les deux cultures présentes sur ces terres.
A l’été 2022, la scène serbo-kosovare s’anime. Cette fois-ci, le cœur de la polémique concerne les plaques d’immatriculation. Depuis la fin du mois d’octobre, la loi impose aux voitures d’avoir des plaques kosovares. Un geste inacceptable pour la Serbie, qui voit en cet acte une atteinte à l’identité serbe.
La situation diplomatique instable expose les populations à des injustices et défient parfois leurs droits fondamentaux. Les serbes installés au Kosovo n’ont pas pu participer aux dernières élections qui ont eu lieue en 2022.
Diffusion samedi 7 janvier 2023 à 8h20, rediffusion le dimanche à la même heure. La fréquence francilienne de Beur FM est 106.7. Si vous souhaitez écouter l’émission depuis une autre région française, vous trouverez toutes les fréquences en suivant ce lien. Prochain pays en débat le 14/01/2023.