« En matière de respect des droits fondamentaux, beaucoup de défis s’ouvrent devant nous. Même si on a évité le pire », estiment les défenseurs des droits des immigrés après la réélection d’Emmanuel Macron
reportage de l’Agence France Presse publié sur le site sudouest.fr le 26 04 2022
Ils ont l’impression d’avoir « évité le pire », avec la réélection d’Emmanuel Macron, mais appréhendent la « continuité » d’une politique migratoire qui, selon eux, fait fi des droits humains : les défenseurs des droits des immigrés appellent à un « changement de paradigme », pour lequel ils s’apprêtent à « mener bataille ». « En matière de respect des droits fondamentaux, beaucoup de défis s’ouvrent devant nous. Même si on a évité le pire » en faisant barrage à Marine Le Pen, résume Fanélie Carrey-Conte, secrétaire générale de l’association Cimade, utilisant une expression employée par tous les interlocuteurs.
Nombreuses questions
« On est dans la continuité », observe Matthieu Tardis, qui dirige le Centre migrations et citoyennetés de l’Institut français des relations internationales (Ifri). En décembre, au moment de prendre la présidence tournante de l’Union européenne, le président plaidait déjà pour une Europe qui « sache protéger ses frontières » pour « relever le défi migratoire » et éviter que le droit d’asile ne soit « dévoyé ».
« Il faut reconnaître qu’il a investi très tôt ce sujet et que l’enjeu migratoire se situe bien au niveau de la coopération européenne, on l’a vu avec la guerre en Ukraine » qui a généré la plus rapide crise des réfugiés depuis la Seconde Guerre mondiale, concède Matthieu Tardis. Néanmoins, poursuit le chercheur, il reste « beaucoup de questions sur la faisabilité des propositions », notamment sur le consensus que cherche Emmanuel Macron dans le cadre de la réforme européenne des migrations, initiée par Bruxelles et qui pourrait aboutir à des contrôles des demandeurs d’asile directement aux frontières extérieures.
« Aberration »
En France, la politique doit être plus « pragmatique et humaine », souligne Pierre Henry, président de France Fraternités, qui a dirigé l’opérateur France terre d’asile pendant près de trois décennies. « Il faut rendre une humanité à l’accueil en préfecture, où près de 60 000 dossiers sont en souffrance pour des gens qui ont seulement besoin de renouveler un titre de séjour. C’est une aberration totale et une question de volonté », illustre-t-il.
Le projet d’Emmanuel Macron, qui souhaite également « décider beaucoup plus rapidement qui est éligible » à l’asile et « expulser plus efficacement ceux qui ne le sont pas », est « très inquiétant et lacunaire », regrette Marilyne Poulain, qui pilote le Collectif immigration de la CGT. « Il n’y a rien sur les régularisations des sans-papiers, qui est un tabou » de la présidence Macron, dix ans après la circulaire Valls sur le sujet, déplore-t-elle.
« Mener bataille »
« On nie la réalité sociale du pays. Il y a des pans entiers de la société qui fonctionnent avec des travailleurs sans titre, comme on l’a vu pendant les confinements, dans la livraison, le nettoyage, la restauration, le tri des déchets. Donc on se prépare à mener bataille sur les conditions de travail », explique la responsable syndicale, appelant à « ouvrir des voies légales de migrations ».
Le thème de l’immigration a été « préempté par l’extrême droite », juge pour sa part Jean-Christophe Dumont, chef de la division Migrations de l’OCDE. De fait, estime-t-il, « le prochain gouvernement est mis sous pression pour démontrer que l’immigration est maîtrisée », d’où l’accent mis sur ce sujet. D’autant que « plusieurs réformes importantes ont déjà eu lieu », notamment en matière d’immigration de travail, ajoute-t-il, bien qu’elles n’aient pas encore porté leurs fruits en raison de la pandémie. « Donc il ne faut pas s’attendre à des changements révolutionnaires. »