Près d’un étudiant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. Qui sont ces jeunes en difficultés ? Qui leur vient en aide ? Etudiantes à Reims, Anna, 20 ans et Fatima, 23 ans, témoignent.
Article par L.L, publié sur le site france3-regions.francetvinfo.fr le 03 02 2020
Aujourd’hui, en France, 20% des étudiants vivent dans la précarité. Comment faire ses courses ? Se loger ? S’habiller ? Comment en parler ? Bien souvent, ces jeunes ont honte et préfèrent se couper du monde. Anna et Fatima ont la vingtaine, elles étudient à Reims et ont accepté de nous parler. De sortir du silence et de l’isolement.
Anna a 20 ans. Etudiante en 2ème année de licence en biologie à l’université de Reims, elle vit avec 500 euros, bourses et CAF cumulées. « C’est beaucoup de frustration, on doit se priver de choses que l’on aime, pas forcément des choses chères, ne serait-ce que des fruits ou légumes frais ».
Le pire c’est de se dire, c’est normal, il y a toujours pire ailleurs mais dans ces cas-là, à quel moment ça s’arrête ?
-Anna, étudiante en 2ème année de licence en biologie à Reims
Originaire de Charleville-Mézières, elle a pris conscience du problème en novembre dernier quand un jeune de 22 ans avait tenté de s’immoler par le feu devant le Crous de Lyon. Hospitalisé, l’étudiant en sciences politiques est toujours dans un état critique. « Je me suis rendue compte à ce moment-là qu’il touchait 450 euros par mois, 50 euros de moins seulement que moi ». Anna s’isole, sort très peu avec ses amis. Gênée de ne jamais pouvoir rendre la pareille. « Même si c’est juste m’offrir un café, je sais que je ne pourrai pas les inviter à mon tour ». « Le pire c’est de se dire, c’est normal, il y a toujours pire ailleurs mais dans ces cas-là, à quel moment ça s’arrête ? ». Il n’y a pas de colère dans la voix d’Anna ni de désespoir, un simple constat amer.
« Ma carte était bloquée, je ne pouvais pas faire mes courses, le loyer ne pouvait pas être prélevé »
Aux difficultés financières, s’ajoutent les mauvaises rencontres. Fatima, 23 ans, est tombée dans une arnaque. « Je connaissais personne sauf les gens qui sont dans ma classe, j’étais dans une phase de recherches de jobs ». Elle n’en dira pas plus mais s’est retrouvée à découvert. « Ma carte était bloquée, je ne pouvais pas faire mes courses, le loyer ne pouvait pas être prélevé tout comme les factures d’électricité. J’étais dans un état de déséquilibre« .
Et puis, elle a trouvé un soutien moral et financier pour ne pas abandonner ses études. A 23 ans, elle deviendra bientôt ingénieure. « Le monde associatif m’a sauvée. Je me suis rendue compte qu’il y avait du boulot, que les associations font beaucoup de choses pour les gens dans des situations critiques. » Aujourd’hui, elle donne des cours à l’Aserca (Association de Solidarité des Etudiants de Reims Champagne-Ardenne), ici-même où elle est venue chercher de l’aide. « Ils m’ont ouvert les yeux, je le prends comme une réussite, je regrette rien, je suis ravie ». Comme une revanche.
L’AGORAé, l’épicerie sociale et solidaire des étudiants
Sur les 20.000 étudiants à Reims, ils sont 400 à pousser chaque semaine, les portes de l’AGORAé, l’épicerie sociale et solidaire. Gérée par des étudiants, elle fonctionne grâce aux dons de la banque alimentaire. En 2019, en France, 180 tonnes de denrées sont distribuées, dont 100, rien que pour Reims. « Ce sont des étudiants qui mangent une fois par jour, parfois certains sautent des repas, ne se nourrissent pas pendant deux-trois jours. Il y en a beaucoup qui se replient sur eux-mêmes, qui intériorisent. On est étudiant aussi, on essaye de parler avec eux », nous confie Matéo Mevizou, le président d’INTERcampus.
L’épicerie sociale et solidaire fonctionne trop bien, c’est ça aussi le problème.
-Matéo Mevizou, président d’INTERcampus
Une deuxième épicerie solidaire doit ouvrir prochainement. « C’est ça aussi le problème, ça fonctionne trop bien donc ça montre aussi qu’il y a trop de précarité étudiante » se désole Matéo.
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Un étudiant précaire sur 4 pousse la porte des assistantes sociales de l’université
À l’université de Reims, deux assistantes sociales prennent en charge les étudiants dans le besoin. Mais seul un étudiant précaire sur 4 vient les rencontrer. « On compte sur le bouche à oreille entre étudiants, on compte aussi sur l’équipe pédagogique pour passer les informations » explique le docteur Guillaume Kueny, médecin en charge du SUMPPS (médecine préventive universitaire).
Début janvier 2020, le gouvernement a mis en place un numéro d’appel d’urgence : le 0 806 000 278 pour aider les étudiants dans la précarité. Il permet de prendre un rendez-vous pour voir une assistante sociale ou un représentant d’une association étudiante. Parler, se faire aider pour ne plus être seul.