Abdennour Bidar : « Je ne pense pas qu’on puisse, dans une existence humaine, faire l’économie du spirituel »

Docteur et agrégé en philosophie, bien connu pour ses travaux sur l’islam contemporain, Abdennour Bidar n’a jamais caché être « un philosophe spirituel », autant attaché à la raison qu’à la foi. Dans son dernier ouvrage, il invite à s’engager dans une « révolution spirituelle » qui, seule, peut nous donner les ressources nécessaires pour faire face à la crise de civilisation que nous traversons.   Le philosophe estime qu’« il y a une révolution à mener à partir de nos intériorités » dans un livre-poème singulier aux accents mystiques.

Propos recueillis par Virginie Larousse et publiés sur le site lemonde.fr, le 17 01 2021 

EntretienQu’est-ce qui, selon vous, nous a conduits à l’impasse climatique, économique et matérialiste que vous dénoncez ?
Nous sommes les enfants d’une modernité qui n’a pas su maîtriser le surcroît de puissance acquis à partir de la Renaissance. Des découvertes techniques ont alors transformé le monde et nous ont confrontés à notre hybris – notre démesure. Depuis lors, ce progrès n’a été utilisé que pour satisfaire des besoins de confort, de possession et de prédation, sans aucun horizon d’espérance métaphysique.

La domination technologique acquise par l’Occident lui a donné la force de se projeter à l’extérieur pour coloniser la planète entière dans une logique de prédation des ressources et d’inféodation des cultures.

Nous vivons aujourd’hui dans des systèmes ultralibéraux qui instituent la guerre, c’est-à-dire la compétition généralisée, la concurrence, comme mode de fonctionnement normal. Sous couvert d’idéaux démocratiques ou des droits de l’homme, nos sociétés s’avèrent extrêmement pyramidales et engendrent des inégalités terribles à l’échelle de la planète.

En outre, notre civilisation a déclaré la guerre à l’environnement depuis le projet cartésien de devenir « maître et possesseur de la nature ». Tout cela nous a tragiquement séparés du reste du vivant.

Vous ne partagez donc pas le point de vue de certains intellectuels, tel le professeur Steven Pinker, qui affirme que nous vivons la période la moins violente de l’histoire ?
Nous parlons ici de la civilisation humaine dans son ensemble ; il s’agit donc d’un phénomène complexe, qu’on ne peut caricaturer tout blanc ou tout noir. De fait, ces progrès technologiques, médicaux ou politiques nous ont orientés vers des principes de justice et de démocratie qui, malgré tout, ne sont pas restés que théoriques. La question est de savoir ce qui l’emporte. Et là, je suis beaucoup plus critique.

« L’individu contemporain a totalement intériorisé l’idée d’une impuissance face à la complexité des problèmes »

Nous sommes de jeunes dieux enivrés par leur toute-puissance, mais qui ne savent pas encore s’en servir de manière éclairée. Sur sept milliards d’êtres humains, la moitié vit avec moins de 5,5 dollars (4,5 euros) par jour. Si nous avons tous les moyens de faire de nos progrès une aurore spirituelle, il serait paresseux de penser que nous pouvons faire l’économie d’un tout autre niveau d’exigence envers nous-mêmes.

Vous semblez pourtant résolument optimiste – vous vous qualifiez d’ailleurs d’« optimiste conscient ».
L’optimiste conscient, c’est celui qui essaie de se tenir entre deux extrêmes : la béatitude inconsciente de ceux qui pensent que le progrès est déjà là, et le désespoir de ceux qui parlent d’effondrement. L’optimiste conscient est celui qui conserve une vraie foi en l’homme et une très forte espérance dans l’avenir de l’humanité. Je pense que nous avons à développer vis-à-vis de nous-mêmes cette foi en une dignité de l’humain qui nous attend toujours à l’horizon de ce que nous sommes, plutôt que de basculer dans une forme d’autosatisfaction qui serait indécente vu les problèmes de la planète.

La vertu des théories de l’effondrement est de faire prendre conscience de la gravité de la menace et du dysfonctionnement radical de nos systèmes, pour créer une sorte d’électrochoc. Mais elles produisent chez certains un véritable effondrement intérieur. Or l’individu contemporain a totalement intériorisé l’idée d’une impuissance face à la complexité des problèmes. Inutile de l’accabler davantage avec une théorie qui lui présente la fin de l’humanité comme inéluctable.

Je ne pense pas que l’avenir soit écrit. Dans ces périodes noires, il convient de cultiver l’espérance que nous avons la possibilité de tout changer. Hölderlin a écrit : « Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve. » Je réponds : « C’est quand tout semble perdu que tout peut enfin – ou encore – être sauvé. »

N’est-ce pas utopique, à l’heure où la planète étouffe ?
Je ne pense pas. Observez la manière dont la vie se projette en avant : elle crée en détruisant. Tout ce qui est détruit sert d’humus à l’apparition du nouveau. Si les êtres humains ont une capacité impressionnante à créer du chaos, il y a là, en même temps, l’opportunité d’une régénération du monde. Il ne s’agit évidemment pas de célébrer la destruction, mais, comme Janus, elle est toujours à double face : un drame qui offre l’opportunité d’un renouveau.

On peut, c’est vrai, faire l’hypothèse que cette fois, nous sommes allés trop loin. Mais y a-t-il dans la vie un mal d’où ne sorte aucun bien ? Quand on regarde les grandes épreuves auxquelles l’humanité a été confrontée, derrière les tragédies, il y a eu la résolution et l’énergie unique du sursaut. Voyez le pardon entre la France et l’Allemagne après la seconde guerre mondiale, et la volonté de créer l’Union européenne.

Pour l’heure, cependant, nous n’avons pas cette maturité de s’arrêter avant la catastrophe. Dans la conjoncture où nous sommes, la vertu paradoxale du mal est de nous contraindre à puiser dans l’énergie du désespoir.

Qu’est-ce qui distingue la révolution que vous appelez de vos vœux de celles qui ont déjà eu lieu ?
Quand tout à l’extérieur désespère, c’est le moment d’aller chercher à l’intérieur de soi. C’est pourquoi je parle de révolution spirituelle, et non politique. Nous n’allons pas refaire la Révolution française ou renverser les institutions – à ce titre, l’assaut du Capitole est la grimace de l’histoire qui prétend répéter les révolutions du passé, alors qu’elle n’est que l’image de l’absurdité de notre monde.

A la place de ces révolutions politiques, souvent sanglantes, il y a une révolution d’un autre ordre à mener à partir de nos intériorités. Gandhi disait : « Sois le changement que tu veux voir dans le monde. » Il s’agit de cultiver en nous-même ce que Bergson appelait une « énergie spirituelle », un « élan vital », car tous nos liens à ce vital, lien à nous-mêmes, à la nature, aux autres, sont en souffrance.

Qu’entendez-vous par le terme de « spiritualité », souvent assimilé à la religion et vu comme antinomique à la laïcité ?
La laïcité n’est pas antireligieuse. Sa vocation historique a été de donner à tous, croyants, athées ou agnostiques, la garantie des mêmes droits et des mêmes devoirs. Grâce à la séparation des Eglises et de l’Etat, les religions n’exercent plus de pouvoir dans la société. Ce n’est donc pas contre le fait de croire ou de pratiquer un culte qu’intervient la laïcité, mais contre la volonté de puissance des institutions et des dogmes religieux.

On sait très bien que dans la religion se trouvent le meilleur et le pire. Le meilleur : donner à l’être humain des ressources de sens, de transcendance, d’éveil ; le pire, car les religions ont souvent témoigné d’une « sacrée » volonté de puissance, qui a pu produire des systèmes de domination, d’aliénation et d’intolérance.

« Le XXIe siècle a un grand rendez-vous avec la vie spirituelle »

Mais pour moi, la spiritualité n’est pas seulement ni forcément la religion. La vie spirituelle, c’est la vie bien reliée, le fait de se relier à plus grand que soi – ce qui peut être Dieu pour le croyant, et tout autre chose pour l’athée.

Il existe trois directions de transcendance : en soi-même, pour se relier au plus grand que soi, qui dépasse notre petit ego (« Apprenez que l’homme passe infiniment l’homme », disait Pascal) ; la transcendance existe aussi dans la relation à l’autre, qui nous invite à nous décentrer : dès que je me soucie de l’autre, il y a vie spirituelle car on s’ouvre à plus grand que soi, à l’amour, la fraternité, l’intérêt général ; et enfin, la transcendance du lien à la nature qui nous conduit vers les mystères fondamentaux de la vie : qu’est-ce qui se joue dans l’univers ? N’est-il qu’un jeu de forces matérielles, ou est-il animé par une intention ?

Je ne pense pas qu’on puisse, dans une existence humaine – personnelle ou collective –, faire l’économie du spirituel. Je suis autant attaché à la séparation du religieux et du politique que je suis attaché au lien entre la vie spirituelle et le reste de l’existence humaine. Si je me relie bien à quelque chose qui me transforme en m’ouvrant progressivement, cela va me donner l’inspiration nécessaire pour avoir quelque chose à apporter aux autres. Le XXIe siècle a un grand rendez-vous avec la vie spirituelle.

Le chantier est considérable. Par où commencer et pourquoi recommandez-vous aux spirituels de devenir pragmatiques et, au contraire, aux pragmatiques de méditer ?
On ne peut donner que ce qu’on a et que ce qu’on est. Si moi, avec mes bonnes intentions, je me précipite dans l’action, je n’irai sans doute pas bien loin. Cela ne signifie pas qu’il faille ajourner cette action, mais comprendre qu’il faut travailler sur deux plans en même temps : à la fois au progrès spirituel et éthique de ma conscience, et au progrès pratique et politique de la société à laquelle j’appartiens.

J’appelle deux grandes familles à se réunir : la famille spirituelle et la famille politique – autrement dit, celle des méditants et celle des militants. Je les appelle à s’inspirer mutuellement d’abord, pour s’élancer ensemble dans l’action. Je dis donc aux méditants qu’il ne suffit pas de rester assis sur son coussin de méditation, qu’il va aussi falloir aller dans le monde – ce qu’exprimait Martin Buber : « Commencer par soi, mais non finir par soi ; se prendre pour point de départ, mais non pour but ; se connaître, mais non se préoccuper de soi. » Le but du travail sur soi est de se mettre au service de la transformation du monde à partir de la plus puissante énergie qu’on aura su libérer en soi. Mais de manière complémentaire, je dis à ceux qui ont déjà cet habitus de se lancer dans l’action : « N’oubliez pas votre âme ! Essayez de creuser en vous jusqu’à trouver la source de votre élan vital. »

Nous avons institué en Occident une séparation préjudiciable entre l’inspiration du cœur et l’inspiration de la raison. Comme si la raison était autosuffisante et que l’inspiration du cœur ne valait rien ! Etant donné la gravité de la situation, nous avons besoin de toutes les puissances de notre être. On ne peut plus se mobiliser à moitié. On a besoin de notre cœur, de notre raison, on a besoin de savoir méditer, de savoir s’engager et d’œuvrer en permanence sur deux plans : le plan spirituel et le plan politique.

Ce serait là une vraie sortie de la modernité, mais une sortie par le haut – et non plus une modernité hémiplégique ou unijambiste, ne marchant que sur la jambe de la raison et de l’action. Cette voie d’avenir n’a rien à voir avec ce qu’on appelle aujourd’hui paresseusement « postmodernité », alors qu’il ne s’agit que d’une continuation désenchantée de la modernité. Nous atteindrions une autre ère de l’histoire de notre espèce : ce moment où l’on est aussi rationnel et politique que les modernes, tout en ayant autant de cœur et de puissance spirituelle que les anciens.

Beaucoup de nos concitoyens s’investissent pour créer une société plus juste, plus fraternelle, moins matérialiste. Comment expliquer les résultats en demi-teinte obtenus jusque-là ?
Soyons clairs, le cours d’une civilisation ne se change pas en quelques décennies. Nous sommes engagés sur un effort de long terme qu’il s’agit de bien conscientiser : c’est la première étape. Si je lance cet appel dans le livre, c’est parce que je vois des choses qui me rendent extrêmement confiant, en particulier dans la jeunesse – c’est pourquoi je m’adresse en premier lieu à elle, ainsi qu’à tous ceux qui ont en eux une force de résistance. Si j’avais le sentiment d’être un philosophe un peu mystique qui prêche seul dans le désert, enfermé dans son propre délire, je n’écrirais pas un livre comme celui-là.

« Ce que je cherchais à transmettre était un souffle, un élan, la possibilité d’encourager cette jeunesse à aller vers ces horizons de sens et de spiritualité engagée »

Nombre de jeunes gens, aujourd’hui, cherchent d’abord et avant tout leur âme. Ils ne veulent plus s’engager dans la société simplement pour se conformer à ses standards de réussite matérielle. Je vois cette recherche devenir de plus en plus ardente, tout en étant dans une quête de surcroît de conscience de soi. Kant posait la question « Que m’est-il permis d’espérer ? » Je voudrais dire à cette jeunesse que de grandes choses lui sont permises d’espérer si elle prend le chemin de son âme.

On ressent dans votre pensée de réelles affinités avec la philosophie indienne : Gandhi, que vous avez cité, mais aussi, entre les lignes, Sri Aurobindo. Où en êtes-vous de votre relation avec l’islam ?
Etant de tradition soufie [la voie mystique de l’islam], je pratique quotidiennement le dhikr, méditation qui vise à éveiller le cœur, son énergie, son intelligence. Mon rapport à l’islam s’exerce sur deux plans : le premier est ce lien purement spirituel que je viens d’évoquer ; mais je suis aussi un penseur réformiste, critique de l’islam dogmatique, afin qu’il sorte enfin de son sommeil. Et qu’il examine avec courage, lucidité et humilité ce que j’ai appelé dans ma « Lettre ouverte au monde musulman » les racines du mal qui le ronge.

Quand on regarde l’ensemble du monde musulman – même si certains considèrent que ce faisant, on tombe dans « l’essentialisation » – il y a des invariants extrêmement préoccupants : l’absence de démocratie, l’infériorisation des femmes, l’interdiction faite à la pensée de contester le dogme ou d’aborder de manière critique la lecture du Coran, etc.

En tant qu’intellectuel musulman, j’ai une responsabilité critique quant à cette civilisation. Certains m’accusent d’être trop sévère avec l’islam. Je pense au contraire que ceux qui flattent l’islam en pensant le défendre ne font que l’encourager dans sa paresse intellectuelle et dans son illusion d’être une civilisation spirituellement forte – alors qu’elle est selon moi le contraire, déficiente, mal en point, et de ce point de vue pas du tout à la hauteur de son propre génie. L’amour que j’ai pour cette religion est à la mesure de ma sévérité car, comme le dit l’adage, « qui aime bien châtie bien ».

A un niveau plus personnel, j’ai grandi dans une culture spirituelle très ouverte. Ma mère était une catholique mystique qui s’est convertie à l’islam sans renier sa culture d’origine, et qui m’a parlé autant du christianisme que de l’islam. Pour moi, encore quotidiennement aujourd’hui, il est aussi important de lire les Evangiles que le Coran. Egalement par ma mère, j’ai été très nourri par l’hindouisme : Sri Aurobindo, Shankara et ses commentaires des Upanishads, la Bhagavad Gita, et j’ai un amour particulier pour Ramana Maharshi.

Ma culture spirituelle est large car j’ai cette conviction que tous les chemins mènent à Rome – ou, plus exactement, qu’ils mènent à un rendez-vous profond que chacun a avec le mystère qui gît aussi bien dans son intériorité la plus profonde que dans tout ce que nous dit l’univers. D’une manière que j’essaie en permanence d’équilibrer, il y a également, bien sûr, toute l’influence qu’a eue sur moi la philosophie occidentale.

Pourquoi avoir choisi d’écrire cet appel sous la forme d’un poème ?
La forme s’est imposée à moi, ce qui a été une énorme surprise (rires). Comme d’habitude, je comptais écrire un essai philosophique en prose. Mais ça n’allait pas : ce que je cherchais à transmettre était un souffle, une espérance, un élan, la possibilité d’encourager cette jeunesse à aller vers ces horizons de sens et de spiritualité engagée.

La poésie s’est imposée car c’est la forme de l’épopée. Grâce à la musicalité et au rythme, il y a quelque chose de contagieux qui se communique, un enthousiasme, une confiance, un mouvement. Si j’avais fait un essai philosophique classique, je ne me serais adressé qu’à la raison des gens. Or je souhaite que nous mobilisions ensemble la raison et le cœur.

Au-delà d’un appel à la résistance, vous vous livrez dans ce livre de manière intime, puisque vous dites avoir vécu deux expériences mystiques. Avez-vous hésité à le faire ?
Non, j’ai dépassé ce genre de peur du ridicule quant au jugement que cela pourrait provoquer (rires). Je ne me livre pas toujours de manière aussi personnelle, mais j’ai la conviction qu’une pensée s’incarne toujours dans un parcours de vie.

C’est pourquoi j’éprouve parfois le besoin d’en témoigner, de dire à celui qui me lit que je ne me contente pas de concevoir intellectuellement ce que j’écris, mais que cela vient de mon vécu personnel le plus profond. Et que je lui donne ce vécu en toute confiance, en toute sincérité, parce qu’il y a là pour moi, avec lui, dans le silence de sa lecture, la condition d’une relation authentiquement humaine. J’essaie de témoigner de manière personnelle pour me donner une chance de rencontrer l’intériorité de mon lecteur, son humanité.

Vous écrivez à la fin du livre que vous serez dorénavant muet. N’est-ce pas au contraire le moment de se livrer bataille, pourquoi pas en vous investissant en politique ?
Etre un leader politique n’est pas ma vocation. Le philosophe adore pouvoir rester à ses chères études ou y revenir régulièrement. Ecrire que je vais me taire est surtout une façon de dire que j’appelle maintenant cette jeunesse à s’engager.

Rassurez-vous, je vais continuer à écrire et à m’engager aussi moi-même. Je préside deux associations, Fraternité générale et le Sésame, et nous travaillons avec beaucoup d’autres dans des réseaux solides, au carrefour du spirituel et du politique, pour essayer de faire notre part de la révolution spirituelle.

Je suis un pèlerin. Cela fait longtemps maintenant que je m’engage. Je viens d’avoir 50 ans ; à cet âge, on ne s’imagine plus, comme ça peut être le cas quand on est plus jeune, qu’on est seul au front. Ce qui était très important pour moi en écrivant ce livre, c’était d’être dans le geste de la transmission d’un flambeau.

Note de lecture  :« Révolution spirituelle ! » : un livre-poème pour réenchanter nos vies

C’est un ouvrage inattendu qu’Abdennour Bidar nous propose avec Révolution spirituelle ! (Almora, 158 pages, 12 euros). Non pas par la thématique abordée : la spiritualité et la résistance au consumérisme sont, de longue date, chères au philosophe – qui les a abordées dans Les Tisserands (2016) et Libérons-nous ! Des chaînes du travail et de la consommation (2018). Mais la forme surprendra sans doute les lecteurs habitués aux essais souvent denses de l’auteur. Car il nous propose ici un livre-poème, un chant, un peu à la manière des tragédies antiques ou de Victor Hugo.

Si le pari était osé, le résultat s’avère convaincant : en dépit du constat anxiogène que le philosophe dresse quant à la déliquescence de nos sociétés « sans âme », la lecture se révèle énergisante. « C’est quand tout semble perdu que tout est sauvé », considère en effet Abdennour Bidar, qui se qualifie d’« optimiste conscient ». A charge pour nous d’avoir le courage de mener à bien cette « révolution spirituelle » à laquelle il nous presse. Une révolution qui, en nous remettant sur le chemin de la « vie bien reliée », permettrait de sortir d’une postmodernité qu’il juge désenchantée et aliénante. V. La.

« Révolution spirituelle ! », Almora, 158 pages, 12 euros