Sciences : une plateforme collaborative pour lutter contre les fake news

À l’occasion du lancement de la plateforme anti fake news Atelier Médiation Critique  mise en ligne aujourd’hui, rencontre avec sa marraine, la physicienne tunisienne Faouzia Charfi.

publié sur le site PourLaScience.fr

Théories conspirationnistes, faits alternatifs et autres détournements de résultats scientifiques : le phénomène des fake news a pris ces dernières année une ampleur considérable sur le Net. Comment lutter contre ce raz de marée anti-rationnel? La physicienne tunisienne Faouzia Charfi, marraine de la nouvelle plateforme Atelier Médiation Critique  nous répond.

Pourquoi soutenez-vous la plateforme Atelier médiation critique que vient de lancer, l’Amcsti (association des musées et centres pour le développement de la culture scientifique, technique et industrielle) et qui se veut un soutien aux passeurs de sciences?

J’ai tout de suite adhéré à ce projet parce que le détournement de la science est pour moi une grave question à laquelle je m’intéresse depuis les années 80. Au départ c’est en tant qu’enseignante à l’université de Tunis, et non pas en tant que chercheuse, que je me suis sentie concernée. À l’époque je donnais un cours sur la relativité restreinte et certains de mes étudiants -pas tous évidemment- ont remis en cause cette théorie au prétexte qu’il n’était pas envisageable que la vitesse de la lumière soit finie. Pourquoi ? Parce que la Lumière étant une manifestation de la puissance de Dieu, elle ne pouvait être limitée. Et du coup Einstein s’était forcément trompé comme cela était écrit dans des articles qui circulaient parmi eux. Cela m’avait énormément troublée : comment comprendre que ces jeunes, déjà en deuxième année de physique à l’Université, rejettent une théorie scientifique établie et se laissent séduire par des publications qui n’avaient rien de scientifique ? Le phénomène n’a depuis cessé d’augmenter et la séduction des pseudo sciences est aujourd’hui démesurément amplifiée par le web et les réseaux sociaux. Le problème est sérieux et l’on ne peut pas rester les bras croisés.

Comment expliquez-vous cette séduction des théories pseudoscientifiques ?

D’abord il y a certainement une faille dans nos systèmes éducatifs qui ne parvient pas à bien faire comprendre les différences entre croyances et connaissances. Les sciences dites exactes sont enseignées de façon plutôt dogmatique dans nos lycées sans pousser les jeunes à vraiment comprendre ce qu’est une expérience et pourquoi on la fait. Mais ce n’est pas la seule raison. Dans le monde Musulman d’où je parle, on a vu apparaître, avec la montée de l’extrémisme, une approche de la science qui accorde tout le crédit nécessaire aux technologies mais laisse de côté les fondements de la science. Autrement dit une approche qui accepte sans problème les smartphones et les ordinateurs mais rejette ce qui pourrait heurter une vision du monde prétendument dictée par la foi : la vitesse finie de la lumière, la théorie de l’Évolution, etc. Par ailleurs on a vu progresser avec la montée de l’islam politique, une nouvelle exégèse des textes religieux qui voit dans le Coran toutes les théories scientifiques. D’où des élèves qui m’affirment, par exemple, que oui les trous noirs existent car on les trouve dans les textes sacrés. Et si je leur propose de leur expliquer ce que sont les trous noirs, ils me répondent que c’est inutile car n’y a pas d’autre Vérité que la vérité de la révélation. Cette collusion délétère entre science et foi s’observe également dans le monde occidental : un mouvement catholique s’est ainsi développé aux États-Unis qui interprète les découvertes les plus récentes comme la preuve que la Terre est fixe. Voire plate. Sans compter la puissance des mouvements créationnistes dans certains pays. Enfin je pense que ces théories plaisent parce qu’elles sont simples. Pour ne pas dire simplistes. Elles demandent moins d’effort intellectuel que pour comprendre la physique quantique par exemple.

Comment, selon vous, combattre les fake news?

Tout d’abord les scientifiques devraient s’impliquer davantage pour expliquer ce qu’ils font. Ils ne sentent pas toujours comme une nécessité ce travail de communication de ce que sont les sciences. Et de leurs interrogations car il n’est pas question de revenir à une posture d’autorité qui ne fonctionne plus, ni à un discours de la science triomphante qui n’est plus écoutée à juste titre. Évidemment, nous chercheurs n’avons pas forcément l’habitude d’être contredits sur les fondements de la science. Mais nous devons oser le débat. C’est l’un des intérêts de la plateforme de rassembler à la fois des documents sur des questions scientifiques souvent sujettes à désinformation : théorie de l’évolution, changement climatique, vaccins etc. ; et aussi des outils de médiation pour les chercheurs, professeurs, animateurs… tous les passeurs de sciences souvent démunis pour entamer un dialogue constructif avec les jeunes et moins jeunes séduits par le complotisme ambiant. On voit bien sur Internet que les deux sphères, scientifique et antirationnelle, ne se rencontrent pas. Et pourtant il faut que le débat se fasse et devienne plus visible si l’on veut que le savoir scientifique, en tant que patrimoine universel, soit partagé par nos enfants où qu’ils vivent.