Philippe de Villiers et son complot imaginaire pour envahir la France

Philippe de Villiers et son complot imaginaire pour envahir la France

 

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Philippe de Villiers, président du Mouvement pour la France, a sorti un énième livre dénonçant la menace de l’islam : Est-ce que les cloches sonneront encore demain ? Ce qui lui vaut le tapis rouge des médias, aux micros desquels il déverse depuis trois semaines ses théories complotistes. Sur LCI, il déclarait ainsi : «On assiste en ce moment à une conquête démographique [de l’islam, ndlr], facilitée par les Nations unies, avec le plan secret des élites, qui prévoit que la France doit recevoir 800 000 immigrés par an entre 2020 et 2040.» Des chiffres spectaculaires, qui reviennent à chacune de ses interviews.

Désintox

Philippe de Villiers mobilise là les ingrédients classiques du complotisme : les élites mondialisées, le secret dans lequel le peuple serait tenu. Une théorie qui se dégonfle illico quand on se penche dessus. Car ce «plan secret des élites» pour organiser la submersion migratoire de la France consiste en fait en un rapport parfaitement public de l’ONU (lesdites «élites»). Lequel rapport date de… 2000, et n’est donc pas de première fraîcheur. Et dans lequel Villiers puise arbitrairement un chiffre à la volée.

En 2000, la division de la population du département des affaires économiques et sociales de l’Organisation des Nations unies publie un rapport, «Migration de remplacement : est-ce une solution pour les populations en déclin et vieillissantes ?» Il s’agit d’un état des lieux démographique envisageant l’immigration comme une des solutions à la baisse de la population active en France et dans le monde. Les auteurs étudient le cas de plusieurs pays ou régions du globe (Allemagne, Japon, Europe, France, etc.) à partir de six scénarios théoriques. Concernant la France, par exemple, l’hypothèse basée sur l’objectif de conserver le même niveau de population en valeur absolue aboutissait à un besoin de 5,5 millions d’immigrés entre 2010 (rappelons que nous parlons là d’un document vieux de quinze ans) et 2050. Un autre postulat, partant de l’objectif de conserver un ratio de trois entre la population en âge de travailler et les personnes âgées estimait que les besoins d’immigration seraient alors de 16 millions d’immigrés entre 2020 et 2040, ce qui porterait la population française à 82 millions en 2050. C’est cette hypothèse que reprend Philippe de Villiers, et qu’il transforme – omettant les autres – en «projet secret» des élites. Le document évoque un ultime scénario : pour conserver un ratio personnes en âge de travailler-personnes âgées de 4,4 (la valeur de 1995), il faudrait, estime le document, pas moins de 32 millions d’immigrés entre 2000 et 2025, puis 61 millions d’immigrés entre 2025 et 2050. Ce qui amènerait, lit-on, la population française à… 187 millions d’habitants en 2050. Pourquoi Villiers n’a-t-il pas retenu cette dernière piste, assurément plus explosive ? Il eut été diablement plus percutant de dire que les élites organisaient la venue de 90 millions d’immigrés afin de tripler la population française d’ici à 2050.

Mais sans doute ce scénario apportait l’indice un peu trop évident qu’on parlait là de choses parfaitement théoriques, qui ne sont évidemment à aucun moment des recommandations, ni même des préconisations. Ce qu’un auteur du rapport, le démographe français Joseph-Alfred Grinblat, précisait sans ambages au moment de la publication du document : «Il est bien sûr tout à fait irréaliste d’imaginer qu’on pourra parer au vieillissement de la population par l’immigration. Notre objectif est de montrer qu’il est pourtant impossible que les choses continuent en l’état. Il va falloir changer les règles du jeu. Nous nous bornons à donner les paramètres de décisions qui incombent maintenant aux politiques.» Le rapport, s’appuyant sur les projections évoquées, précisait que les Etats devaient désormais aborder des questions cruciales comme l’âge de la retraite, les niveaux des prestations et des contributions pour les retraités ou encore la question de l’immigration.

Notons qu’avant Philippe de Villiers, Marine Le Pen était déjà allée touiller dans le vieux rapport de l’ONU pour y trouver matière aux mêmes théories complotistes. La présidente du FN déclarait ainsi il y a un an : «J’accuse l’ONU, de concert avec la Commission européenne, d’organiser sciemment la submersion migratoire de l’Europe. Faut-il rappeler que les technocrates de l’ONU demandent l’accueil de 120 millions d’immigrés extra-européens sur notre continent ?» Là encore, Marine Le Pen renvoyait à ce vieux rapport oublié de tout le monde, à part de l’extrême droite qui continue d’y voir, seize ans après, un plan secret. Tremblez, braves gens.

Par Cédric Mathiot