En Guinée, la percée wahhabite bouleverse les équilibres religieux

par Christophe Châtelot  envoyé spécial du Monde Afrique àLabé, Guinée

Dans la région du Fouta-Djalon, la confrérie soufie des tidjanes est confrontée à la montée d’un islam rigoriste émanant des pays du golfe Arabo-Persique.
Une querelle de minarets ébranle Labé. L’ancienne capitale du défunt royaume théocratique du Fouta-Djalon, en Guinée, est le théâtre d’une sourde lutte d’influences religieuses, « bras ballants » contre « bras croisés ». Les premiers, musulmans malékites priant les bras le long du corps et réunis dans la confrérie soufie des tidjanes, détenaient sans trop de partage le pouvoir terrestre, avec ses marchés et ses troupeaux de bœufs, l’administration aussi, mais également le domaine spirituel et religieux. Depuis quelques années toutefois, ce vieil ordre vacille sous les assauts d’un concurrent chassant sur les terres d’islam et qui, du Tchad à la Guinée, prospère dans la sous-région : le wahhabisme, dont les fidèles prient bras croisés.

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Ils sont ainsi plusieurs centaines d’hommes, pantalons à mi-mollet pour beaucoup, agenouillés sur leur tapis de prière à l’extérieur de la mosquée Tata 1, non loin du centre de Labé. A l’intérieur, les salles de prière sont déjà bondées. Les femmes, elles, la plupart vêtues du niqab noir, ont pris place, invisibles, dans les salles de classe de l’école coranique franco-arabe attenante qui, les autres jours, accueille près de 300 élèves.

« Une méfiance réciproque »

Il n’y a pas si longtemps pourtant, il n’y avait quasiment personne à Tata 1. Ce n’est qu’en 2016 que la mosquée wahhabite a eu le droit de conduire une prière du vendredi. « Plus exactement, nous nous sommes arrogé ce droit », corrige avec une pointe de malice « Docteur » Diallo Al-Hamdou. Cet ancien infirmier, sexagénaire vaillant au sourire souligné par une barbichette noire et blanche, est le porte-parole des organisations sunnites de Labé. A ce titre, il a participé aux tentatives de conciliation des wahhabites du cru avec les autorités administratives et la Ligue islamique de Guinée, contrôlée par les tidjanes qui leur refusaient la prière du vendredi. « Il y a une méfiance réciproque. Chacun accuse l’autre de s’être égaré religieusement », résume-t-il, avant lui-même de traiter les marabouts tidjanes de « charlatans qui intimident les autorités et soutirent de l’argent aux fidèles en leur vendant des gris-gris ».